
Sur le terrain, l'augmentation des épaisseurs des panneaux complexifie la logistique.
Une augmentation généralisée. Quel que soit le matériau, quel que soit le support ou la destination des ouvrages, dans le neuf comme en rénovation, les isolants mis en œuvre en toiture-terrasse sont de plus en plus épais. Une hausse régulière et progressive depuis quelques années, constatée par tout un secteur : industriels, entreprises d'étanchéité, bureaux d'études… Ainsi, en polyuréthane, les panneaux de 120, 140 voire 160 mm d'épaisseur sont aujourd'hui couramment utilisés. « Il y a encore 5 ans, la moyenne tournait autour de 80 mm », rappelle Michel Piquet, directeur technique de Recticel Insulation. En laine minérale, on est passé de 100 ou 120 mm pour monter couramment jusqu'à 240 mm et parfois même jusqu'à 300 mm. Même constat pour le polystyrène expansé (PSE) ou les mousses de polystyrène extrudé rigide (XPS), « qui se sont épaissies de près de 40 mm et atteignent régulièrement 160 mm », précise Henri Dhénin, directeur technique chez Jackon Insulation pour l'Europe de l'Ouest.
Plusieurs raisons expliquent cette évolution. Tout d'abord, dans le neuf, l'entrée en vigueur de la RT 2012 limite la consommation d'énergie primaire à un maximum de 50 kWh/m²/an en moyenne. En rénovation ensuite, les aides financières de l'État (crédit d'impôt, éco-PTZ, TVA à taux réduit), ainsi que les dispositifs spécifiques tels que les certificats d'économie d'énergie (CEE), incitent bailleurs sociaux et privés mais aussi de plus en plus de copropriétés à engager des travaux de diminution des consommations énergétiques de leurs bâtiments. Sans oublier enfin, l'intérêt de plus en plus prononcé des maîtres d'ouvrage pour la valorisation de leur patrimoine. La multiplication et le succès des labels et certifications environnementales et énergétiques illustrent cette nouvelle considération pour la « valeur verte » d'un ouvrage. « En rénovation particulièrement, l'engagement de travaux est pensé de manière à éviter d'autres interventions ultérieures, qu'il s'agisse de mise aux normes ou d'anticipation d'éventuelles futures obligations. En cas de revente, l'argument peut faire pencher la balance », souligne Jérémy Amand, ingénieur et responsable formation conseil rénovation au sein du bureau d'études Pouget Consultants. Or, quel que soit le contexte, l'isolation de l'enveloppe, tant en façade qu'en toiture, joue un rôle certain dans la performance énergétique globale du bâtiment.
EXTENSION DES AVIS TECHNIQUES
Les industriels ont répondu à ces nouvelles dispositions constructives par l'élargissement de leur catalogue. « Le nombre de nos références a doublé. Nous avons donc réorganisé nos délais de livraison car la logistique est plus complexe », explique Gérard Persuy, chef de marché chez Knauf.
Des fabricants ont modifié certains de leurs process pour produire ces nouveaux types de panneaux. Par exemple, pour les isolants en polyuréthane, « l'épaisseur définit en partie la composition des mousses afin de garantir une réaction chimique optimale », poursuit Gérard Persuy. Les caractéristiques spécifiées des panneaux en fortes épaisseurs (stabilité dimensionnelle, compressibilité…) sont par ailleurs régulièrement testées afin d'être intégrées dans les Avis techniques des procédés. Tous les fabricants d'isolant ont demandé des extensions de leurs Avis techniques. « Les essais sont la plupart du temps concluants. Les variations dimensionnelles représentent le principal point bloquant », souligne Stéphane Gilliot, responsable de la division façade, couverture et toitures (FaCeT) au CSTB. De plus, « dans certains cas, l'Avis technique peut imposer des limites d'emploi , précise Lise Boussert, déléguée technique de la Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE). En effet, l'augmentation de l'épaisseur d'isolant va souvent de pair avec la diminution de la résistance à la compression. Or, par exemple, sur toiture-terrasse avec protection en dalles sur plots, le tassement ne peut être supérieur à 2 mm, ce qui amène, pour certaines charges, à limiter l'épaisseur d'isolant. »
FIXATIONS
Les fabricants de fixations se doivent aussi de répondre à cette nouvelle problématique, non seulement en termes de longueur mais aussi de résistance mécanique de leurs produits, notamment à l'arrachement. Mais finalement, ils abordent ce virage sereinement : « pour chaque type d'application, nos gammes intègrent des références pour des épaisseurs d'isolant pouvant atteindre 450 mm. Or, les demandes ne dépassent pas les 300 mm », souligne Laurent Guillotel, chef de produits étanchéité et couverture chez Etanco. Avec les fortes épaisseurs, les fixations à rupture de ponts thermiques ont tendance à se généraliser. La présence d'un fût en plastique permettant de limiter la longueur de la partie métallique de la fixation. « Elles commencent à être intégrées dans les Avis techniques des isolants et des revêtements d'étanchéité », précise Stéphane Gilliot.
LES ÉTANCHEURS S'ADAPTENT AUSSI
Sur le terrain, les étancheurs n'ont pas fondamentalement changé leurs méthodes de travail. « Certes, nous devons effectuer quelques réglages mais les principes de base restent identiques. Il suffit de respecter les règles de l'art », explique Denis Lehnen, directeur technique chez Soprema Entreprises. Reste que la logistique se complexifie, notamment en termes de manutention, de stockage sur chantier et de gestion des déchets d'emballage. « Le nombre de paquets a augmenté de façon significative, rappelle Manuel Decoodt, directeur de travaux au sein de l'entreprise d'étanchéité Etandex. De plus, avec certains matériaux, il arrive que l'outillage de découpe ne soit pas adapté aux fortes épaisseurs. Les découpes sur chantier n'apportent pas toujours la qualité dimensionnelle attendue. La gestion des jeux entre panneaux devient alors délicate. »
En rénovation, ajouter un isolant ou en augmenter l'épaisseur sur un ouvrage non-isolé ou peu isolé au départ peut entraîner une non-conformité de la terrasse aux prescriptions du NF DTU 43.5 « Réfection des ouvrages d'étanchéité des toitures-terrasses ou inclinées ». En effet, l'épaisseur du complexe d'étanchéité croît autant que l'isolant et la hauteur de l'acrotère peut devenir insuffisante. Charge alors à l'étancheur d'effectuer une rehausse qui n'a pas toujours été prise en compte dans le cahier des charges. De la même manière, les garde-corps doivent être remis aux normes ou encore « il arrive fréquemment que les engravures ne soient plus conformes et doivent être calfeutrées », ajoute Manuel Decoodt. Sur les bâtiments en acier, l'apport de charges supplémentaires nécessite de vérifier la résistance de la structure. Des aménagements qui peuvent devenir source de blocage de la part de la maîtrise d'ouvrage. En effet, elles engendrent des surcoûts qui « dans certains cas, peuvent ralentir et complexifier les prises de décision quant aux lancements de travaux », rappelle Jérémy Amand, ingénieur et responsable formation conseil rénovation au sein du bureau d'études Pouget Consultants.
Dans le neuf aussi, la mise en œuvre n'est pas toujours évidente. Par exemple, quand une façade en béton dispose d'une ITE avec bardage rapporté, l'acrotère, en fonction de sa hauteur, sera généralement isolé. « On se retrouve rapidement avec des épaisseurs totales d'ouvrage impressionnantes et donc des couvertines d'autant plus grandes. Qui plus est, il n'existe pas de référentiel technique à ce jour sur de telles dimensions. La tenue au vent peut devenir un sujet délicat auquel il faut faire attention », remarque Gilles Guyoton, dirigeant de l'entreprise d'étanchéité Beci BTP. Un avis partagé par Stefano Millefiorini, responsable du pôle Energy design center de Rockwool : « il peut exister parfois des incohérences entre ce qui est demandé par les prescripteurs et ce qu'il est possible de mettre en œuvre ».
QUELLES VALEURS CONSIDÉRER ?
Les fortes épaisseurs d'isolant sont aujourd'hui devenues la norme. Les professionnels du secteur, entreprises comme industriels s'y sont adaptés et répondent aux demandes. Mais cette généralisation pose d'autres questions, notamment en termes d'efficacité. Cette surenchère est-elle vraiment justifiée ? Ne risque-t-elle pas d'être la cause de nouvelles pathologies encore mal appréhendées en raison du manque de recul ?
Les débats sur ces problématiques ne sont pas tranchés. Les avis, comme les intérêts divergent. Les fabricants d'isolants se satisfont logiquement de cette tendance. Certaines associations, à l'image d'Effinergie, y sont également favorables. Néanmoins, les professionnels du secteur s'accordent sur le fait qu'il ne suffit pas de raisonner en matière d'épaisseur. Les valeurs à prendre en compte, celles qui finalement sont considérées dans les calculs des différents référentiels et autres labels, correspondent à la résistance thermique (R) de l'isolant (résistance qui, le plus souvent, est certifiée par l'Acermi), et plus encore au coefficient de transmission thermique de la paroi (U). « Les confusions entre ces valeurs sont fréquentes dans les CCTP, souligne Gilles Guyoton. Par exemple, ils peuvent nous demander des épaisseurs d'isolant qui ne correspondent pas au U souhaité ou au contraire, ils définissent un U quand on attend un R, comme dans le cas de rénovation de bâtiment existant. »
GAINS EN ÉNERGIE
Un mélange des genres qui peut induire en erreur les concepteurs. En effet, à partir d'un certain niveau, le gain en énergie n'est pas linéairement proportionnel à l'augmentation de la résistance thermique et à l'épaisseur du produit. Les premiers centimètres sont les plus efficaces. Au-delà, les économies sont moindres mais il est difficile de savoir quel est le niveau palier. Chez Rockwool, des études ont montré que, pour un bâtiment de commerce, une isolation de la toiture de 120 mm d'épaisseur de laine de roche faisait gagner 30 % sur la consommation d'énergie par rapport à une isolation nulle. « Si on double cette épaisseur, les économies supplémentaires sont faibles », précise Stefano Millefiorini. Ces résultats sont néanmoins à pondérer. « Les paramètres de taille et de compacité d'un ouvrage doivent également être pris en compte dans les calculs. Un bâtiment cubique de grande taille sera plus facile à isoler que s'il est petit et qu'il compte de nombreux décrochés. »
PONTS THERMIQUES
De plus « la résistance thermique d'un isolant ne prend pas en compte les ponts thermiques générés par la mise en œuvre », rappelle Nicolas Bretault, chef de produits chez Isover. Fixations mécaniques, traversées de toiture, acrotères non-isolés… Tous les points singuliers génèrent potentiellement des déperditions qui « dégradent fortement le R de l'isolant. Plus le panneau est épais, plus les ponts thermiques risquent d'être importants. Pour connaître les véritables performances d'une toiture, il faut raisonner en termes de coefficient de transmission thermique de la paroi, le U », insiste Stéphane Gilliot. Un avis partagé par les professionnels du secteur qui vont jusqu'à affirmer qu'un traitement adapté de ces ouvrages permettrait, dans de nombreux cas, de gagner quelques centimètres d'épaisseur d'isolant. Chez Jackon Insulation, on a montré, par exemple, les conséquences d'une non-isolation de l'acrotère. Ainsi, Henri Dhénin explique que « sur les petites terrasses, ces déperditions représentent 66 à 82 % des pertes thermiques de la toiture et de 17 à 41 % pour les grandes surfaces ».
RÉFÉRENTIEL
La sous-commission isolation thermique de la CSFE planche également sur le sujet. Après la parution en mars 2012 des Recommandations professionnelles n°4 sur « la conception de l'isolation thermique des toitures-terrasses et toitures inclinées avec étanchéité », un nouveau document de référence dédié aux éléments porteurs en maçonnerie viendra bientôt les compléter. Au menu : rappel des règles de base et des principes de traitement des reliefs des toitures-terrasses inaccessibles et extension de ces préconisations aux ouvrages accessibles aux piétons, aux véhicules, aux terrasses jardins… ainsi qu'au traitement des points particuliers tels que les joints de dilatation, les emmarchements, les chéneaux, les escaliers… L'occasion également de mettre de nouveau en garde contre la tentation de poser l'isolant en sous-face de l'élément porteur pour éviter des épaisseurs de complexe trop élevées en surface. « Ce type de mise en œuvre génère de graves pathologies en favorisant la condensation. L'élément porteur peut alors mal se comporter avec des risques de pourrissement du bois et des panneaux à base de bois. Le plancher béton, soumis directement aux gradients thermiques, sera sujet aux fissurations », insiste Lise Boussert. La règle de répartition de l'isolant avec le ratio 2/3 de la résistance thermique totale au-dessus du pare-vapeur et 1/3 en-dessous, qui permet de conserver le point de rosée au-dessus du même pare-vapeur, est aujourd'hui communément admise.
Un autre débat au sein de la chambre syndicale a pour objet la qualification et l'incidence des ponts thermiques aux joints de panneaux des isolants sur la performance de la toiture-terrasse. Plusieurs mesures ont été réalisées par le Laboratoire national d'essais (LNE) sur différentes configurations : isolant de faible ou de forte épaisseur, panneaux rainurés-bouvetés, feuillurés ou pas, pose en deux lits, en faisant varier la valeur des joints entre panneaux… Les résultats sont encore en cours d'analyse.
MANQUE DE RECUL
Le comportement à moyen et long terme de la membrane d'étanchéité reste également encore mal connu. La forte résistance thermique de l'isolant pourrait entraîner un vieillissement prématuré de la feuille apparente car c'est elle qui supporte les écarts élevés de température. Les industriels ont effectué des tests probants à 80 °C mais les questionnements persistent : les conditions de ces essais sont-elles assez sévères ? De la même manière, on ne connaît pas les conséquences des effets du travail de l'isolant épais sur les matériaux en contact avec lui. Enfin, « en rénovation, on appréhende encore mal les changements de régimes thermique et hydrique d'un ouvrage dont le niveau d'isolation a été fortement modifié, notamment quand on isole une paroi qui ne l'était pas », souligne Laurent Joret, directeur technique de Soprema et président de la commission technique du syndicat national des polyuréthanes (SNPU).
Les conséquences des augmentations d'épaisseurs d'isolant conservent des zones floues. « On manque de recul et tous les doutes ne sont pas levés », rappelle Lise Boussert. Mieux vaut donc rester raisonnable comme le rappelle Denis Lehnen : « Pour que l'enveloppe soit globalement performante, il faut être homogène dans le traitement de tous les postes de déperditions, les surfaces courantes et les ponts thermiques. Ce n'est pas simple et un grand nombre d'acteurs de la construction sont encore en phase d'apprentissage. Il est préférable de bien assimiler et appliquer la RT 2012 que de courir après la RT 2020 .»
Les performances énergétiques imposées par la RT 2012 vont de pair non seulement avec une bonne isolation de l'enveloppe mais aussi avec un traitement rigoureux de l'étanchéité à l'air. « Ce traitement de l'étanchéité à l'air augmente l'hygrométrie à l'intérieur des ouvrages et augmente le risque de condensation , souligne Denis Lehnen, directeur technique de Soprema Entreprises.
Pour éviter les risques de condensation et le développement de moisissures et une mauvaise qualité de l'air intérieur, il faut à la fois réaliser des parois de grandes qualités (forte isolation, étanche à l'air, sans pont thermique, en validant le point de rosée) et une ventilation performante. »
Les définitions de la performance thermique
Plusieurs valeurs sont rattachées à l'isolant et peuvent parfois être source de confusion. Ainsi :
- le lambda ( λ ) correspond à la conductivité thermique d'un matériau. Exprimé en W/(m.K), il représente la capacité intrinsèque d'un matériau à transmettre la chaleur d'une face chaude vers une face froide. Plus sa valeur est faible, plus l'isolant est performant thermiquement ;
- la résistance thermique (R), exprimée en m2 .K/W, correspond au rapport entre l'épaisseur de l'isolant (e en mètre) et son coefficient de conductivité thermique ( λ ) : R = e / λ . Elle caractérise la résistance d'un isolant aux flux de chaleur. Plus sa valeur est importante, plus l'isolation est performante thermiquement ;
- le coefficient de transmission thermique (U) correspond à la quantité de chaleur traversant une paroi. Il se calcule selon les règles Th-U en fonction de la somme des R de l'isolant, des résistances thermiques des constituants de la paroi, des résistances thermiques superficielles de la paroi, des ponts thermiques linéiques et ponctuels intégrés à la paroi. Son unité est le W/(m2 .K). Plus sa valeur est faible, plus la paroi est performante thermiquement.
RT 2012 : des performances modulables
« Quand on évoque la RT 2012, les concepteurs ne retiennent que les 50 kWh/(m2 an) de consommation d'énergie primaire », rappelle Stefano Millefiorini, responsable du pôle Energy design center de Rockwool. Mais ce chiffre s'applique surtout aux maisons individuelles et reste modulable selon la destination de l'ouvrage. « Pour les bureaux par exemple, le niveau est relevé à 70 ou 110 kWh/(m2. an). Pour les commerces, il peut même atteindre 300 voire 500 kWh/(m2an) en zone de bruit.»
">Pour poursuivre votre lecture et accéder aux contenus en illimité, connectez-vous ou créez votre compte gratuitement.
Vous n’avez pas encore de compte ? Je crée un compte