La morphologie de la ville a un impact sur les îlots de chaleur urbain. photo © Sergio Grazia
La morphologie de la ville a un impact sur les îlots de chaleur urbain.
Le phénomène de surchauffe urbaine se fait de plus en plus sentir avec l’accélération du réchauffement climatique. Pour lutter contre ces îlots de chaleur et préserver l’attractivité des villes, les solutions existent. Pour être efficaces, elles doivent entrer dans le cadre d’une réflexion globale d’aménagement urbain intégrant aussi bien le retour de la nature en ville, la morphologie urbaine et les matériaux qui la modèlent et l’activité humaine. L’exploitation des toitures-terrasses en fait partie mais ne peut pas, seule, résoudre la problématique.

« La caractéristique majeure du climat urbain est l’îlot de chaleur urbain (ICU). Il désigne le fait que l’on observe régulièrement des températures de l’air plus élevées dans les zones urbaines par rapport aux zones rurales qui les entourent. Cet écart est plus marqué la nuit que le jour. » Ce phénomène, ainsi défini dans le rapport d’étude Epicea*, est particulièrement notable pendant les épisodes de fortes chaleurs. En effet, si généralement une différence de 2,5 °C est constatée entre la ville et la campagne, en période de canicule, elle peut s’élever jusqu’à 10 °C. Ce fut le cas par exemple en 2003, avec les conséquences dramatiques sur les personnes fragiles que l’on connaît.

Comment expliquer ces microclimats ? Tout d’abord, par la morphologie urbaine, qui se rapporte aux formes tridimensionnelles, à l’orientation et à l’espacement des bâtiments. « Par exemple, une configuration de rues étroites, entourées de hauts bâtiments, peut nuire à la bonne ventilation car elle crée des « canyons » où se stocke la chaleur », explique l’agence d’urbanisme de la région nîmoise et alésienne dans un document dédié à cette problématique (décembre 2014). Par ailleurs, « l’imperméabilisation des surfaces par des matériaux artificiels, aux propriétés physiques différentes des sols naturels entraîne d’importantes modifications des flux de surface par comparaison à ce qui se produit en milieu rural »*. Par effet d’inertie, ils stockent la chaleur accumulée le jour et la rejettent la nuit, empêchant la température atmosphérique de retomber. En cause enfin : l’activité humaine et, entre autres, le recours aux systèmes de climatisation. Certes ils rafraîchissent l’intérieur mais ils évacuent aussi de l’air chaud à l’extérieur. « L'augmentation de la température due aux climatiseurs représente 0,25 et 1 degré supplémentaire. En 2030, s'il y a deux fois plus de climatiseurs, l'augmentation serait de 0,5 à 3 degrés supplémentaires à Paris », expliquait Stéphane Merlaud, chargé de mission à l'agence parisienne pour le climat (APC) à nos confrères de France Info en juillet 2018.  

Attractivité urbaine

Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique global qui tend à augmenter leur fréquence et leur intensité, les surchauffes estivales ne sont plus isolées et avec elles viennent les risques d’îlots de chaleur urbains de plus en plus étouffants. « Les conséquences peuvent être nombreuses et variées en termes de gestion des infrastructures, ressources en eau, pollution, confort bioclimatique, santé publique, demande énergétique… », rappellent les auteurs de l’étude Epicea. Résultats, « si les villes n’offrent plus une qualité de vie suffisante à ses habitants, ces derniers la quitteront pour des territoires plus verts, plus frais, souligne William Meunier, responsable du service environnement de la métropole de Grenoble. Mais ces migrations ne seront pas sans effets. Elles participeront à l’étalement urbain et donc à l’artificialisation des sols et à l’augmentation des déplacements avec tout ce que cela implique en matière d’infrastructures et d’usage de la voiture. Pas vraiment l’idéal quand on cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre. » Pour les villes, l’enjeu est donc majeur.

Un phénomène étudié

Pour mieux comprendre les causes des ICU et définir les solutions les plus appropriées au contexte urbain, de nombreuses études ont été menées à travers le monde, notamment en Amérique du Nord. En France aussi. Outre le programme Epicea, différents organismes nationaux ou locaux ont travaillé sur la question. Les services d’urbanisme des collectivités notamment ont publié des études et des synthèses, réalisées en partenariat avec des centres de recherche comme le CNRS ou le Cerema. Ce dernier a, en outre, participé, avec l’Ademe et le bureau d’études Tribu à la rédaction d’un guide intitulé « Rafraîchir les villes, des solutions variées »**. À destination, entre autres, des maîtres d’ouvrage, il fait le point sur les connaissances théoriques et pratiques en la matière. Surtout, « il identifie et évalue l’efficacité de 19 solutions réparties en trois catégories : les solutions vertes, fondées sur la nature, les solutions grises, liées aux infrastructures urbaines et appliquées au bâtiment, et les solutions douces, supposant une évolution des comportements et des politiques publiques (réduction du trafic routier, limitation des usages de la climatisation…) », précise Héloïse Marie, chef de projets et architecte au sein du bureau d’études Tribu. Leurs impacts ont été étudiés sous plusieurs angles : à l’échelle de la ville / du piéton et en évaluant d’éventuels cobénéfices, le tout en suivant une approche multicritère. Pour cela, trois indicateurs principaux ont été évalués : la température de l’air, les indices de confort et la température de surface. 

Le végétal en pole position

Sans surprise, toutes solutions confondues, les parcs et les arbres affichent les meilleurs résultats en matière de lutte contre les ICU, de jour comme de nuit, à l’échelle de la ville comme à celle du piéton. Le guide rappelle que deux phénomènes sont ici en jeu : l’évapotranspiration des végétaux et l’ombrage. L’effet de rafraîchissement diffère néanmoins selon la surface et le type de parc (couverture arborée ou pelouse), sa configuration spatiale et les caractéristiques des plantes. Il dépend également de la disponibilité en l’eau pour la végétation. « S’il n’y a aucun recours à l’arrosage pendant les vagues de chaleur, l’effet de refroidissement pourrait être divisé par 4. »**

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Les effets de rafraîchissement de différentes solutions (Source : Rafraîchir la ville, des solutions variées, guide réalisé par l’Ademe, le Cerema et Tribu, © ADEME Éditions, mai 2021)

Parmi les autres solutions étudiées, les toitures-terrasses figurent en bonne place. Surfaces disponibles, contrairement au sol sur occupé des milieux urbains denses, leur exploitation peut-elle participer à la réduction des ICU et si oui comment ? Toitures-terrasses végétalisées (intégrées dans les solutions vertes), toitures avec revêtements à albédo élevé et avec panneaux photovoltaïques (intégrées dans les solutions grises) ont ainsi été observées. Chacune joue sur des phénomènes différents.

Les toitures végétalisées

Tout comme dans les parcs, les végétaux plantés en toiture évapotranspirent. « Le végétal absorbe le rayonnement solaire et infrarouge incident, utilise l’énergie pour la photosynthèse et évapore l’eau qu’il contient », décrit le guide. Néanmoins, contrairement à la pleine terre, les toitures végétalisées constituent un environnement restreint. Ses performances augmentent avec l’épaisseur de substrat. Les bénéfices seront logiquement plus importants avec une végétalisation intensive qu’avec une toiture extensive. Avec un prérequis indispensable néanmoins : que le végétal soit suffisamment irrigué.

Fort de ce constat, les fabricants de procédés de végétalisation cherchent à améliorer leurs systèmes Ainsi, Sopranature a lancé récemment un complexe baptisé « Fresh » conçu de manière à augmenter ses qualités en la matière d’évapotranspiration. « Cela passe notamment par un choix de plantes spécifiques, associé à une irrigation adaptée », explique Aurélie Devant, sa responsable marketing. Les capacités de rafraîchissement de cette solution ont été étudiées pendant deux ans par la plateforme expérimentale Ratho de l’Astredhor (association nationale des structures d’expérimentation et de démonstration en horticulture). Une baisse de la température allant jusqu’à 4 °C a ainsi été constatée dans son environnement immédiat. Un résultat encourageant donc mais dont l’impact reste finalement limité. En effet, de par leur localisation en hauteur, cette baisse de température en surface n’est pas forcément ressentie au sol. « À l’échelle de la ville, les toitures végétalisées ont un effet négligeable sur le rafraîchissement des rues et des espaces urbains », ont constaté les auteurs du guide sur le rafraîchissement des villes. Un constat identique a été réalisé par l’étude Muscade**.

Les impacts directs des toitures-terrasses végétalisées sur l’ICU n’ont pour le moment pas été démontrés. Ces ouvrages disposent malgré tout d’autres arguments convaincants. En protégeant la toiture des rayons de soleil, en l’isolant, en la rafraîchissant même grâce à la présence d’eau dans le substrat, elle permet d’améliorer le confort thermique à l’intérieur du bâtiment et avec lui, de limiter le recours à la climatisation. En tous cas au dernier étage. « En outre, elles participent également à la qualité de vie en ville en termes de rétention des eaux pluviales, de biodiversité, de confort visuel… », rappelle Pascal Le Cœur, directeur technique chez Iko. « Elles constituent une solution dite « sans regret », c’est-à-dire qu’elles présentent des bénéfices quand bien même l'impact local du changement climatique n’est pas connu », explique Rémy Claverie, chercheur en climatologie urbaine au Cerema.

Les membranes d’étanchéité réfléchissantes

Limiter les élévations de température des surfaces de toitures, c’est aussi le rôle des membranes d’étanchéité à albédo élevé (indice du pouvoir de réflexion d'une surface exposée au rayonnement solaire), c’est-à-dire supérieur à 0,7. Le principe du toit réfléchissant part d’un constat : l’échauffement des membranes d’étanchéité  noires peut faire grimper les températures de surface jusqu’à 80 °C. De couleur claire, le revêtement d’étanchéité Cool Roof, lui, joue sur la réflectivité et l’émissivité du matériau. Il permet de réfléchir le rayonnement solaire incident et permet ainsi de réduire significativement la température de surface. Résultat, « cette dernière ne dépassera généralement pas les 40 °C. La température à l’intérieur du bâtiment pourra alors être réduite de l’ordre de 2 à 4 °C», précise Gaëlle Vallée, directrice du pôle technique et marketing toitures chez Sika France. Il produit en outre un deuxième effet bénéfique : le ralentissement du vieillissement d’une membrane moins sollicitée thermiquement. En effet, réduire la température de surface signifie également limiter les variations de température entre le jour et la nuit.

Sont-elles efficaces sur les ICU ? Le projet Epicea a évalué l’impact d’une modification des propriétés radiatives des matériaux des bâtiments (murs et toitures) à Paris. La baisse de la température a été évaluée à « 1 °C en moyenne sur toute la durée de l’épisode avec 3 °C au maximum à un instant donné dans le centre densément construit. » Le guide sur le rafraîchissement des villes rappelle quant à lui qu’à Melbourne et à Sydney, pour une augmentation de 0,1 de l’albédo des toits, la réduction de la température en ville a été réduite en moyenne de respectivement 0,25 et 0,5 °C. « Les études convergent vers l’efficacité de l’albédo pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain en limitant le piégeage de la chaleur dans les rues. Elles démontrent également que les effets d’une augmentation de l’albédo en toiture sont plus prononcés pour les quartiers très denses. » Deux petits bémols cependant : « La durabilité des propriétés du Cool roof dans le temps doit être intégrée à la conception de la toiture. En effet, un encrassement peut en diminuer les performances. D’où la nécessité de créer une pente à l’ouvrage afin d’éviter toute stagnation d’eau, de poussières, de pollution… », rappelle Rémi Perrin, directeur R&D chez Soprema. Autre effet négatif : les risques d’éblouissement des riverains, sans oublier celui des poseurs pour qui le port de lunettes de soleil est fortement conseillé.

Compilation de solutions

Finalement, de par la configuration des villes et/ou du niveau de leur performance, « aucune solution ne peut résoudre seule la problématique de la surchauffe urbaine. Les projets urbains combinent généralement plusieurs solutions »** (voir interview p. XX). Attention cependant à bien évaluer la compatibilité des choix effectués. Par exemple, associer des structures d’ombrages à des revêtements d’albédo élevé peut atténuer les effets recherchés, tandis qu’au contraire, la présence d’eau amplifie le rafraîchissement généré par les espaces verts. De manière générale, « toutes les solutions douces se combinent avec toutes les solutions vertes et grises »**.

Les toitures photovoltaïques

On y pense moins, mais « l’application de panneaux solaires en toiture-terrasse est intéressante en termes de rafraîchissement urbain lorsqu’ils viennent remplacer une surface à faible albédo. Les panneaux monteront à des températures similaires à celles atteintes par les surfaces sombres mais, du fait de leur faible inertie, refroidiront beaucoup plus vite la nuit », décrit le guide. Par leur effet d’ombrage, ils vont également réduire les besoins en rafraîchissement. Enfin, « le principe même de la transformation de l’énergie solaire en énergie électrique peut jouer un rôle. En effet, cette conversion entraîne une perte d’énergie qui n’est donc pas renvoyée dans l’atmosphère, explique Héloïse Marie, chef de projets et architecte au sein du bureau d’études Tribu. Ce bénéfice est directement corrélé à la performance des panneaux. Aujourd’hui, cette dernière n’est pas encore suffisante pour donner des résultats concrets. » La piste mérite néanmoins d’être suivie.

Trois questions à William Meunier, responsable du service environnement de la métropole de Grenoble et Thomas Pigeolet, urbaniste au sein de la direction d’urbanisme et d’aménagement

Étanchéité.Info Comment s’intègre la gestion des îlots de chaleur urbains (ICU) dans la politique d’aménagement de la métropole de Grenoble ?

William Meunier Les effets du réchauffement climatique sont déjà visibles sur notre territoire. Il faut dire que ce dernier cumule les handicaps. Au climat continental montagnard s’ajoute le fait qu’il est situé dans une cuvette encadrée par trois massifs. Autant de facteurs qui rendent la circulation de l’air difficile et favorisent le développement des ICU. D’autres conséquences sont également déjà perceptibles comme l’évolution de la biodiversité, la montée en altitude la limite feuillus / résineux, l’augmentation de la fréquence des pollutions à l’ozone…

L’ensemble de ces problématiques est envisagé dans notre plan climat territorial qui définit une stratégie globale d’adaptation aux effets du changement climatique. Avec un objectif principal : permettre aux habitants de disposer d’un espace urbain de qualité.

E.I. Quelles solutions mettez-vous en place ?

Thomas Pigeolet Nous encourageons le retour de la nature en ville au sens large, pour tous les bénéfices qu’elle rend à l’espace urbain à travers diverses obligations et incitations intégrées dans notre PLUI. Il peut s’agir de l’interdiction localisée d’imperméabilisation des sols, du maintien des corridors écologiques (trames vertes et bleues) …

E.I. Qu’en est-il de l’exploitation des toitures-terrasses ?

T.P. Applicable depuis le début de l’année 2020, notre plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) impose, pour toute construction neuve, la mise en œuvre d’une toiture végétalisée sur au moins 50 % de la surface concernée. Afin de sensibiliser et responsabiliser les pétitionnaires, nous avons joint au PLUi plusieurs orientations d’aménagement et de programmation (OAP) thématiques, notamment sur la prise en compte du paysage et de la biodiversité, sur la qualité de l’air... Elles décrivent par exemple les performances des différents types de toitures végétalisées en fonction de l’épaisseur du substrat. Cette disposition entre dans notre projet global de verdissement de la ville, avec tous les bénéfices qu’elle lui apporte, dont évidemment, la lutte contre les ICU.

Pour en savoir plus

*Epicea : étude pluridisciplinaire des impacts du changement climatique à l’échelle de l’agglomération parisienne (Epicea) a été menée par Météo France, le CSTB et la Ville de Paris, en partenariat avec l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) et l’Agence parisienne du climat (APC) en réponse à l’appel à projets de 2007 « Paris 2030 ».

** Rafraîchir la ville, des solutions variées, guide réalisé par l’Ademe, le Cerema et Tribu, © Ademe Éditions, mai 2021.

*** Muscade : modélisation urbaine et stratégies d’adaptation au changement climatique pour anticiper la demande et la production énergétique (2009-2013), projet ANR coordonné par le Game et associant Cired, CSTB, Liens, LRA, IAU IdF et Apur.