Entretien avec Marine Linglart, directrice et gérante d'Urban-Eco, agence spécialisée dans le conseil et l'expertise en aménagement durable et écologie urbaine, qu'elle a créé en 2011. Cette société réalise des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage auprès des collectivités, de maîtrise d'œuvre paysagère et environnementale, d'animation de réseaux d'acteurs et d'ateliers participatifs en équipe de projets. L'agence est composée d'écologues, énergéticiens, hydrauliciens, agronomes, environnementalistes et paysagistes.
La toiture végétalisée est rarement mentionnée dans les PLU. Afin de favoriser son développement et garantir son efficacité en matière de biodiversité, de gestion des eaux pluviales... Marine Linglart et le bureau d'études Urban-Eco Scop préconisent un découpage territorial adapté. Ils militent pour un véritable engagement des élus en la matière.
ETANCHÉITÉ. INFO À quels textes est aujourd'hui soumise la végétalisation du bâti ?
MARINE LINGLART Depuis 2000 et la loi SRU, les grandes orientations d'aménagement du territoire et d'utilisation des sols d'une commune ou d'un groupement de communes sont définies dans le PLU. Il est lui-même régi par les dispositions du code de l'urbanisme et particulièrement des articles L. 123.1 et suivants et R. 123.1 et suivants.
Le PLU comprend un rapport de présentation, un projet d'aménagement et de développement durable (PADD), une Orientation d'aménagement et de programmation (OAP), un règlement et un document graphique. Le rapport de présentation analyse l'existant et les enjeux du territoire grâce à la réalisation d'un diagnostic écologique et paysager. La compréhension du fonctionnement écologique d'un territoire, des secteurs de refuge de la faune et des axes de continuité est une étape très importante. Ensuite, le PADD précise les grandes orientations décidées par les élus autour des problématiques constructives, environnementales, sociales et économiques. Il traite des zones agricoles, naturelles et hydrauliques mais jusqu'à maintenant n'évoque que rarement l'intégration du végétal dans le bâti. De plus, il reste sous la forme d'intention, certes très qualitative mais sans traduction des intentions en données chiffrées.
Ces principes peuvent être traduits dans une OAP qui est soit territorialisée par secteur, soit thématique. Elle comprend des dispositions d'aménagement définissant les actions et les opérations pour mettre en valeur l'environnement. Il peut s'agir par exemple de la mise en place d'une continuité écologique traversant une zone à urbaniser.
Jusqu'au 1er janvier 2016, les OAP relevaient d'un rapport de compatibilité et laissaient donc une place importante aux interprétations. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le nouveau code de l'urbanisme lui accorde la possibilité d'avoir valeur de règlement. Par conséquent, il permet d'aller plus loin que les articles 11 (aspect extérieur) et 13 (espaces libres et de plantations) du règlement du PLU. La rédaction de ces textes est en effet très cadrée et doit pouvoir laisser une marge de manœuvre notamment en termes de définition de la végétalisation.
E. I. Cela signifie-t-il que les élus locaux peuvent imposer la mise en œuvre de toitures végétalisées ?
M. L. En théorie, oui, sous réserve de mettre en place une OAP définissant les secteurs au sein desquels installer une toiture végétalisée est obligatoire pour chaque nouvelle construction. Sur le terrain, très peu de communes le font.
E. I. Vous accompagnez les collectivités dans l'aménagement de leur territoire. Préconisez-vous la mise en œuvre de toitures végétalisées ?
M. L. Nous militons pour le sur-mesure. La toiture végétalisée ne peut pas être une solution systématique pour répondre aux problématiques de biodiversité, de rétention d'eau ou d'îlot de chaleur urbain. Un tel ouvrage en R+9 par exemple n'a pas beaucoup d'intérêt : elle n'est que peu visible, difficilement accessible pour la faune et les effets de rafraîchissement de l'atmosphère ne sont pas ressentis au sol. Au sein d'une zone agricole ou boisée, où le végétal est déjà très présent au sol, son utilité est également discutable. D'autant plus qu'elle induit un surcoût et des contraintes d'entretien parfois difficilement acceptables par des propriétaires, les particuliers surtout.
E. I. Quelles sont alors vos recommandations ?
M. L. Nous plaidons pour un découpage du territoire spécifique dédié à ces problématiques car le zonage classique zones urbaines (U), zones à urbaniser (AU), zones naturelles (N) et zones agricoles (A) n'est alors pas pertinent. Dans les secteurs très denses où le toit reste le seul espace libre disponible ou lorsqu'il se trouve sur un couloir de biodiversité important, la végétalisation a toute sa place. De la même manière, il faut adapter le type de toiture à la configuration du bâti auquel il est associé. Par exemple, en R+1 et 2, l'épaisseur de substrat sera de 60 à 80 cm pour accueillir une vraie diversité de végétaux. Entre le R+3 et le R+5, 30 cm pourront suffire. Au-dessus, il n'y a pas besoin de dépasser 10 cm.
Le rôle du bureau d'études est d'identifier ces zones et de faire en sorte que les élus s'engagent dans la réalisation de ces solutions. Le développement de la végétalisation des bâtiments dépend avant tout d'un engagement des élus locaux. Nous pensons que ces nouvelles façons d'envisager le territoire passent par le développement d'outils réglementaires afin de pouvoir justifier de la pertinence de la végétalisation par rapport à son contexte ultra-local. Ils n'existent pas aujourd'hui.
E. I. Quelle est la position des maîtres d'ouvrage sur ces problématiques ?
M. L. Ils nous entendent de plus en plus, les aménageurs surtout. Du moment que les charges foncières ne baissent pas, ils sont favorables à la végétalisation. D'autant plus que cette dernière peut les aider à prétendre aux différents labels existants. Les promoteurs sont plus frileux, notamment en raison du surcoût induit et des contraintes d'entretien. C'est aussi pourquoi nous sommes plutôt favorables à des systèmes de végétalisation simples qui ne demandent qu'une faible intervention humaine.