En plus du renforcement des exigences thermiques, la prochaine réglementation applicable aux bâtiments neufs introduit également une notion nouvelle : le calcul de leurs émissions de carbone. Un bouleversement pour l’ensemble de la filière construction, dont celle de l’étanchéité, qui va nécessairement devoir s’adapter pour rester dans la course.

Depuis 1973 et leur première mouture, les réglementations successives applicables aux constructions neuves se concentraient sur leurs performances thermiques. Aujourd’hui, ces dernières ne suffisent plus pour faire face aux enjeux climatiques et respecter les engagements de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre (voir encadré). Avec près de 25 % de ces émissions imputables aux bâtiments, ils constituent un secteur clé pour atteindre ces objectifs. C’est donc pour aller plus loin que « l’État, avec l’aide des acteurs du secteur, a lancé un projet inédit pour prendre en compte dans la réglementation non seulement les consommations d’énergie, mais aussi les émissions de carbone, y compris celles liées à la phase construction du bâtiment », explique le ministère de la transition énergétique. Fin 2016 est lancée l’expérimentation E+C- avec une vocation : définir les critères de caractérisation des bâtiments à la fois sobres en énergie et en carbone. Elle s’est notamment basée sur la méthode de l’Analyse du cycle de vie (ACV) statique (voir encadré) qui additionne les impacts carbone estimés de tous les matériaux et équipements utilisés dans l’ouvrage. Tout comme le label Bâtiment basse consommation (BBC) avait inspiré la rédaction de la RT 2012, les retours d’expérience de cette initiative ont servi de base à la définition des contours de la future Réglementation environnementale (RE) 2020.

Seuils arrêtés, texte attendu

Cette dernière « est désormais prête pour entrer en vigueur au 1er janvier 2022 », annonçait le ministère au début de l’année. Enfin presque car à ce jour, seuls un décret (n° 2021-1004 du 29 juillet 2021) et un arrêté (paru le 4 août 2021) ont été publiés. Les seuils de performance énergétique et d’émissions de carbone ont également déjà été fixés (voir encadré). Non sans difficultés. Les discussions entre les organisations professionnelles et le gouvernement ont été nombreuses et parfois houleuses. La filière construction s’inquiète et craint de voir certains matériaux et procédés à l’impact carbone (IC) encore important fortement pénalisés par rapport à d’autres à l’IC plus performant à ce jour comme, pour ne pas le citer, le bois. « Les niveaux imposés doivent rester réalistes et valoriser la mixité des solutions plutôt qu’une seule filière », rappelle Jean Passini, président de la commission transition écologique de la Fédération française du bâtiment (FFB). L’argument a été entendu et le gouvernement a accepté de revoir les seuils à la baisse afin de les rendre plus cohérents au regard des réalités de terrain. Ils intègrent en outre une clause de revoyure aux horizons 2025, 2028 et 2031. Ils pourront ainsi être réévalués en fonction des retours d’expérience. L’objectif : laisser le temps aux acteurs du secteur de s’approprier les nouvelles exigences.

Période d’adaptation

De quoi les rassurer ? « Oui, en tout cas sur les court et moyen termes, explique Rodrigue Leclech, responsable du pôle construction au sein du bureau d’études Pouget Consultants. Aujourd’hui, il est possible de respecter le premier seuil en conservant les modes constructifs couramment utilisés actuellement. On peut imaginer que cela sera aussi le cas en 2028. » Pourquoi ? L’ACV d’un ouvrage est réalisé à partir des Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) des produits (voir encadré) et des Profils environnementaux produits (PEP écopassport) des équipements le composant. A ce jour, nombre d’entre eux ne disposent pas encore de ce document. Ainsi, par exemple, sur la base Inies qui compile l’ensemble des FDES et PEP disponibles, seuls 28 produits d’étanchéité de toiture sont référencés. Les industriels de l’isolation sont plus actifs en la matière avec 108 fiches concernant les isolants thermiques et acoustiques pour toiture-terrasse. Or, lorsqu’une FDES n’est pas renseignée, « les calculs se font à partir de FDES par défaut qui surévaluent de manière très pénalisante le bilan carbone du produit en le multipliant par deux, voire trois », rappelle Rodrigue Leclech. Les résultats sont faussés et surévaluent l’IC du bâtiment. Le premier seuil de la RE2020 prend en compte ce retard. « Ceux de 2028 sont plus exigeants car ils considèrent que les données de chaque produit seront alors à jour. Les calculs des ACV seront donc mécaniquement meilleurs et plus représentatifs de la réalité sans pour autant avoir modifié les modes constructifs. »

La balle est donc dans le camp des industriels qui disposent de trois ans pour se mettre à jour. L’enjeu est d’autant plus important qu’il devient concurrentiel. Un produit sans FDES risque de perdre en part de marché au profit de produits dont les émissions de carbone ont été calculées. Dans le secteur de l’étanchéité, le travail est en cours chez l’ensemble des industriels. La filière parie également sur le collectif. Ainsi, la Chambre syndicale de l’étanchéité (CSFE) a rédigé quatre FDES collectives : systèmes d’étanchéité bitumineux pare-vapeur, systèmes d’étanchéité bitumineux-monocouche et bicouche, membranes d’étanchéité synthétique PVC-P fixées mécaniquement ou lestées et les systèmes asphalte.

Évolution des process

Cette période d’adaptation jusqu’en 2028 doit également permettre au secteur d’anticiper les échéances suivantes qui prévoient la décarbonation de l’ensemble des systèmes constructifs, à commencer par ceux du second œuvre. Charge donc aux industriels, pour rester dans la course, d’améliorer les performances de leurs produits en la matière. L’opération n’est pas toujours facile dans l’étanchéité dont beaucoup de systèmes intègrent des matériaux pétrosourcés : membranes bitumineuses ou synthétiques, isolant polyuréthane… Comment progresser ? En raccourcissant les distances de transport grâce aux productions locales, en réduisant les emballages, en modifiant la composition des produits… C’est notamment la stratégie engagée par Soprema depuis 2011 avec le lancement d’un vaste programme de Recherche & Développement destiné à trouver les solutions pour introduire des matériaux biosourcés ou issus du recyclage dans les process de fabrication. Le groupe propose ainsi des gammes d’isolants en ouate de cellulose, fibre de bois, avec du coton recyclé ou encore utilise des barquettes en plastique comme matières premières pour les isolants polyurethanne ou XPS. Pour les membranes d’étanchéité, il a fait breveter un polymère à base d’huile de colza. « L’utilisation de dérivés de résines de pin en tant que liant pour membranes bitumineuses est également envisageable mais nous nous retrouvons ici face à un manque de ressources en matières premières », précise Pierre-Etienne Bindschedler, son PDG. Et à un surcoût conséquent qui, pour l’heure, freine la généralisation de ces produits.

Chez Derbigum aussi, on n’a pas attendu l’arrivée de la RE2020 pour développer des procédés à l’impact écologique plus réduit. Depuis 2009, la gamme NT contient ainsi jusqu’à 25 % de matériaux recyclés. « Nous n’avions pas jusqu’alors quantifié son impact environnemental. La rédaction de FDES nous a confirmé qu’elle était adaptée aux exigences de la RE2020 », précise son directeur technique José Otéro. L’industriel mise d’ailleurs beaucoup dessus : les FDES disponibles ne concernent que ces produits. Les autres gammes « classiques » sont intégrées dans les FDES collectives de la CSFE.

Le recyclage

Si le taux de matériaux recyclés composant le produit entre dans les calculs d’ACV, sa recyclabilité en fin de vie aussi. « Il s’agit d’ailleurs d’un des sujets majeurs des années à venir », insiste Jean Passini. En effet, en janvier 2022 entrera également en vigueur la Responsabilité élargie du producteur (REP) visant les Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) prévue dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec). C’est notamment pourquoi le groupe Soprema, tout comme 25 autres industriels*, a adhéré à Valobat, éco-organisme dont la vocation est de faire progresser la reprise des déchets collectés et de développer les filières de recyclage. « Un matériau peut être vertueux en matière d’émissions de CO2 pendant sa durée de vie, mais s’il finit incinéré, le carbone stocké jusqu’alors est rejeté dans l’atmosphère », rappelle Pierre-Etienne Bindschedler.

Ces filières sont encore rares. Plusieurs initiatives industrielles individuelles existent notamment chez les fabricants d’isolants (Isover, Rockwool, Knauf…), les distributeurs (Saint-Gobain Distribution France) ou chez quelques fabricants d’étanchéité comme Derbigum qui propose un service de récupération des chutes de pose et de membranes en fin de vie. Le programme Roofcollect pour les feuilles PVC a, quant à lui, permis la récupération en 2020, d’environ 14 115 tonnes de membranes (contre 16 500 tonnes en 2019 mais le Covid est passé par là). Concernant les membranes bitumineuses, en revanche, les solutions de recyclage en sont à leurs balbutiements. « Le développement à grande échelle de ces dispositifs peine encore à se généraliser. La profession doit accélérer le mouvement », alerte Pierre-Etienne Bindschedler.

La crainte du sinistre

Les qualités environnementales d’un produit ne doivent néanmoins pas prédominer sur sa validation technique. Actuellement, très peu de ces nouveaux produits disposent d’un DTA en cours de validité.

Par exemple un seul panneau isolant biosourcé support d’étanchéité en est doté. « L’objectif de diminution d’émissions de CO2 ne doit pas remettre en cause la pérennité de nos ouvrages. Les étancheurs raisonnent en termes de systèmes isolant-étanchéité car ils savent que toutes les associations de produits ne sont pas judicieuses. Ce savoir-faire et cette approche ne sont pas considérés dans les moteurs de calcul mis en place », avertit Gérald Faure qui s’inquiète de voir le taux de sinistralité augmenter. Seules les entreprises, devront assumer ces choix théoriques au travers de leur garantie décennale. N’ont-elles pas leur mot dire ? Gérald Faure est plutôt pessimiste : « Nous arrivons trop tard dans la chaîne de conception. Les choix techniques initiaux ne pourront pas toujours être variantés techniquement mais nous devrons malgré tout, plus que jamais, être force de proposition.  »

Pour Jean Passini, les entreprises d’étanchéité ne doivent effectivement pas se laisser prendre de vitesse. « Elles doivent s’approprier les méthodes de calcul d’impact carbone comme elles ont appris à maîtriser celles relatives à la performance énergétique de leurs ouvrages. Sinon, effectivement, d’autres le feront à leur place, avec le risque d’être réduites au seul rôle de poseur. » De la même manière, elles devront s’adapter à l’évolution à venir des systèmes constructifs.  « Même si les niveaux de seuils, assortis de la clause de revoyure, vont permettre de conserver une certaine mixité dans les matériaux utilisés, il est clair que le bois devrait tirer son épingle du jeu. Il faut s’attendre à une croissance conséquente de la filière. Les entreprises habituées aux constructions maçonnées vont devoir apprendre à travailler différemment. » Un changement des pratiques en profondeur qui pourrait aussi découler sur une montée en compétences de la filière.

Retrouvez la 2ème partie de notre dossier en cliquant ici. RE2020 : Des exigences toujours compatibles ? L’application de la RE2020 révèle plusieurs paradoxes parfois difficiles à résoudre. Un jeu d’équilibriste qui aujourd’hui peut s’avérer défavorable pour certains types de procédés de toiture-terrasse.

* Aliaxis, BMI Monier, Elydan, Etex, L'enveloppe métallique du Bâtiment, Fayat, Forbo, Gerflor, Groupe Briand, Hansgrohe, Knauf, Knauf Insulation, Isover Saint-Gobain, Legrand, Nexans, Placo Saint-Gobain, Prysmian Group, Rockwool, Rexel, Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, Schneider Electric, Siniat, Tarkett, SNFA, UFME

FDES et ACV dynamique

L’impact carbone (IC) d’un bâtiment tout au long de son cycle de vie est évalué par l’Analyse du cycle de vie (ACV), obtenue à partir de données fournies par les industriels dans leurs Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Hébergées sur la base Inies (www.inies.fr) depuis 2004, les FDES compilent, pour un produit, les quantités de CO2 émises lors de l’approvisionnement en matières premières, du process de fabrication, des transports, de la mise en œuvre, de l’usage et de la fin de vie. Elles prennent en compte également la durée de vie (arrêtée à 50 ans), la contribution du produit à la qualité sanitaire des espaces intérieurs et de l’eau ainsi qu’à la qualité de vie dans le bâtiment.

Elles peuvent être de trois sortes : les FDES individuelles portent sur une gamme de produits ou un produit d'un seul fabricant, elles sont la propriété du fabricant. Les FDES collectives, concernent un produit type fabriqué par plusieurs industriels. Elles sont la propriété des fabricants nommément cités dans les FDES. Pour les matériaux ne disposant pas de FDES collectives ou individuelles, il existe des données par défaut, fondées sur des moyennes de FDES de produits équivalents ou sur des hypothèses définies par le ministère, pour des produits qui n’ont fait l’objet d‘aucune déclaration environnementale. Elles sont généralement défavorables afin d’encourager les fabricants à rédiger leurs propres FDES. Résultat, avec la RE2020, les produits n’en disposant pas vont se trouver fortement handicapés, avec un risque d’exclusion du marché.

Méthode de calcul

Lors de l’expérimentation E+C-, le calcul de l’impact carbone d’un bâtiment a été réalisé selon la méthode de l’ACV dite « statique », c’est-à-dire de manière linéaire tout au long de la période considérée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Toujours avec les FDES comme document de base, l’analyse privilégie désormais la méthode « dynamique ». Elle part du principe que plus une émission de CO2 se produit tôt et plus son impact est important et durable. Par conséquent, elle valorise davantage les réductions de carbone immédiates que celles réalisées des années plus tard.

La RE2020 : une réponse aux engagements de la France

Depuis 2015 et la signature des accords de Paris, la France s’est engagée tant au plan international que national à réduire de manière conséquente ses émissions de gaz à effet de serre. C’est ainsi qu’a été votée la même année la loi « transition énergétique pour la croissance verte », puis en novembre 2019 la loi « énergie-climat », qui prévoit, entre autres, la sortie progressive des énergies fossiles. Cette dernière est dotée d’un outil de pilotage, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). La prochaine loi européenne sur le climat, prévue pour la fin de l’année, imposera quant à elle aux États membres de parvenir à un bilan d’émissions de gaz à effet de serre neutre d’ici 2050. Sans oublier la loi Climat et Résilience publiée le 24 août dernier.

Les seuils

Besoin bioclimatique Bbio : - 30 % par rapport à la RT2012. Il considère la consommation d’énergie primaire (Cep) ainsi que la consommation en énergie primaire non renouvelable (Cep,nr).

Impact carbone (IC) pendant toute la durée de vie du bâtiment estimée à 50 ans : d’ici 2031, les émissions de CO2 devront avoir été réduites de 30 à 40 %. L’IC combine IC énergie (impact de l’énergie consommée) et l’IC construction (impact des composants et du chantier. Quatre seuils ont été définis pour chacun des IC :

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Confort d’été : un nouvel indicateur

Exit la Tic (température intérieure conventionnelle) de la RT2012. La RE2020 introduit un nouvel indicateur d’évaluation du confort d’été dans le bâtiment : les degrés-heures d’inconfort (DH). Il évalue l’inconfort perçu par les occupants exprimé en durée et en intensité. Sont considérées comme inconfortable les températures intérieures dépassant 26 ou 28 °C. Les seuils sont les suivants :

- bâtiment inf 350 DH : confortable sans climatisation ;

- 350 DH inf Bâtiment inf 1 250 DH : besoin probable en climatisation (pénalisé en Cep & en IC énergie) ;

- Bâtiment sup 1 250 DH : non réglementaire.

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