Entretien avec Sylvain Laurenceau, directeur opérationnel Économie et Ressources au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB).

Valorisé dans la RE2020, exigé dans la REP, facilité par le diagnostic PEMD… Le réemploi des matériaux et produits de construction va peu à peu faire sa place dans la construction. Avec des filières rares et peu structurées, il reste encore beaucoup à faire. Conscients des enjeux, les professionnels se mobilisent. Sylvain Laurenceau, directeur opérationnel Économie et Ressources au CSTB fait le point sur les avancées. Avec en ligne de mire : la massification des pratiques et le développement de l’éco conception.

Étanchéité.Info Quelle est la définition du réemploi des produits et matériaux de construction ?

Sylvain Laurenceau L’article L.541-1-1 du Code de l’environnement l’envisage comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel il avait été conçu ».

Le plus souvent, ils sont récupérés sur un chantier et acheminés vers un autre. Ils peuvent aussi être mobilisés par des acteurs du reconditionnement ou par des industriels reprenant leurs produits pour les remettre ensuite sur le marché. Mais ces filières aux process de reconditionnement reconnus sont rares et manquent encore de structuration. Il en existe d’autres, plus nombreuses, mais elles ne sont pas en mesure de garantir correctement la qualité des produits revendus. Ils se destinent souvent au marché des particuliers.

E.I. La maîtrise d’ouvrage encourage-t-elle ces démarches ?

S.L. Elle manifeste un intérêt réel. Les maîtres d’ouvrage publics l’envisagent, entre autres, comme un levier de création d’emplois tandis que le privé, comme les grands groupes de promotion immobilière par exemple, y voit un axe de développement de leur politique RSE. Enfin, évidemment la prise en compte de l’impact écologique des bâtiments pèse de plus en plus. Par conséquent, les cahiers des charges intègrent aujourd’hui davantage de clauses de réemploi.

E.I. D’autant plus qu’il est mentionné dans plusieurs textes réglementaires…

S.L. Oui. Tout d’abord, depuis sa mise en application le 1er janvier 2022, la RE2020 considère son impact carbone comme nul. Il est donc valorisé pour les bâtiments neufs. À la même date, le décret n°2021-821 du 25 juin 2021 relatif au « diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et déchets issus de la démolition ou de la rénovation significative des bâtiments » a refondu le diagnostic Produits Équipements Matériaux Déchets (PEMD). Obligatoire pour les maîtres d’ouvrage pour les bâtiments dont la surface cumulée de plancher est supérieure à 1 000 m², il permet de visualiser en amont les gisements potentiels pour permettre aux filières de s’organiser avant même le lancement des marchés de dépose.

Enfin, il y a la REP dont l’objectif est d’atteindre progressivement 5 % de produits et matériaux réemployés d’ici à 2028. Le taux est aujourd’hui évalué à moins de 1 %. Charge également donc aux éco organismes de mettre en place les actions nécessaires au développement de ces filières.

E.I. Comment le réemploi est-il envisagé par les assureurs ?

S.L. Il n’est aujourd’hui visé par les assurances qu’au cas par cas. L’objectif de nos travaux, en collaboration avec l’ensemble des acteurs, est de définir des modes opératoires partagés et reconnus pour sécuriser l’ensemble de la chaîne. Les démarches sont en cours. Elles se traduisent par des expérimentations, la réalisation de documentation définissant les bonnes pratiques… En avril 2022, nous avons ainsi publié, avec l’association Orée, un guide sur la déconstruction sélective puis, à l’été, un plan d’action et la liste des 29 familles de produits les plus propices au réemploi, établie avec une cinquantaine de professionnels du reconditionnement et de l’acte de construire. Par ailleurs, le projet Spirou, lancé il y a quelques mois avec le soutien financier de l’Ademe, s’attache à développer et faire reconnaître des guides sur 10 familles de produit différentes. L’objectif : servir de catalyseur à la formalisation et à la reconnaissance des pratiques. Nous sommes à la recherche de moyens complémentaires pour en renforcer le périmètre. Enfin, nous avons également mis en place des formations dédiées avec différents partenaires.

Lors de tous ces échanges, les assureurs ont manifesté leur souhait d’accompagner le mouvement, tout comme d’ailleurs la Commission prévention produits (C2P) de l’Agence Qualité Construction (AQC) qui a révisé récemment ses règles pour une meilleure prise en compte du réemploi.

E.I. Le modèle économique est-il viable aujourd’hui ?

S.L. Il reste encore à trouver. La dépose sélective et le reconditionnement seront créateurs d’emploi. Mais cette nouvelle main d’œuvre à un coût qui n’est pas toujours compensé par les économies réalisées sur l’achat des matériaux. Certes, l’augmentation du prix et les difficultés d’approvisionnement en matières premières tendent à équilibrer la balance mais les modèles économiques sont encore délicats. Pour optimiser financièrement la démarche du réemploi, il faut anticiper dès la phase conception la démontabilité, la recyclabilité et le réemploi des matériaux et produits. On parle alors d’éco conception au service de la circularité. Cette notion est essentielle car, une fois les travaux lancés, il est difficile de revenir en arrière. C’est pour cela que le CSTB a lancé une démarche d’ampleur sur la caractérisation de la circularité des produits. Elle se caractérise par quatre indicateurs : la part de matières recyclées ou renouvelables, la démontabilité, le potentiel de réemploi et le potentiel de recyclage. Avis aux amateurs !

Le contexte

Ingénieur économiste, Sylvain Laurenceau est diplômé de l’école polytechnique et de la London school of economics de Londres. Après un passage dans un cabinet de conseil en développement local, il a rejoint le CSTB en 2009 au sein de la direction économie et sciences humaines. En 2015, il intègre la direction énergie-environnement où il coordonne en 2018, la réalisation d’une feuille de route sur l’économie circulaire. Il prend la tête de la nouvelle direction opérationnelle « économie et ressources » de l’organisme en juin 2022.

La CSFE se mobilise pour le réemploi

« La Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE) a la volonté d’accompagner la profession de l’étanchéité dans une démarche concrète et pragmatique de réemploi en phase avec les enjeux de l’économie circulaire », explique Edwige Parisel, sa déléguée générale. C’est pourquoi l’organisme a constitué un groupe de travail dédié à la problématique du secteur. 22 membres de l’organisme, industriels et entreprises, et un représentant de l’Agence Qualité Construction (AQC), le compose.

Retrouvez les travaux et les avancées du groupe de travail en cliquant ici

 

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