Les décrets d’application de la loi Climat & Résilience devraient exclure la végétalisation du bâti des solutions de renaturation des sols artificialisés. Elle peut néanmoins accompagner nombre de projets de densification. C’est d’ailleurs, plus largement, le cas de nombre de fonctionnalités des toits-terrasses.

Zéro artificialisation nette : la toiture-terrasse veut faire entendre ses atouts

En France, plus de 9 % des sols sont artificialisés* et le rythme va en s’accélérant. Le ministère de la transition écologique estime qu’« entre 20 000 et 30 000 hectares le sont chaque année. Cette artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population ». Il ajoute qu’elle a « des répercussions directes sur la qualité de vie des citoyens et sur l’environnement ». Accélération de la perte de biodiversité, réchauffement climatique, amplification des risques d’inondations, réduction de la capacité des terres agricoles à nous nourrir, accroissement des dépenses liées au réseau, amplification de la fracture territoriale… Les conséquences sont nombreuses et graves.

En cause principalement : l’étalement urbain et avec lui l’habitat (voir graphique). « Quelle que soit l’origine de la consommation d’espace pour du foncier bâti, la construction de logements neufs en constitue le principal déterminant », explique France Stratégie*, organisme d’expertise et d’analyse prospective.

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(c) saddleroad Pixabay
Le déménagement des ménages de la ville vers le périurbain participe à l'accélération de l'artificialisation des sols.

Goût pour le périurbain

Comment en est-on arrivé là ? Tout d’abord, en raison de certaines politiques publiques en matière d’urbanisme : « les communes ont globalement intérêt à soutenir l’installation de ménages et d’entreprises sur leur territoire, pour en maintenir le dynamisme », souligne France Stratégie*. En parallèle, prix du foncier, manque de place et inconfort en ville poussent nombre d’entreprises et de ménages à s’installer hors les murs. « La périurbanisation ne doit plus être lue uniquement comme un choix « par défaut » pour des ménages ne pouvant accéder à la centralité urbaine pour des raisons économiques. C’est aussi un choix positif reposant sur la recherche d’un habitat individuel plus récent et d’un contact accru avec la nature. Ce desserrement peut accélérer le « mitage » des territoires qui résulte de la multiplication des projets de petite taille. »

Pour enrayer le phénomène, l’équation est complexe et les tentatives pas toujours efficaces. Ainsi au milieu des années 1970 a été mise en place la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC). Cet outil, introduit en France par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (et renforcé dans la loi biodiversité de 2016), réglemente la conciliation entre projets d’aménagement et préservation de l’environnement. Il priorise tout d’abord l’évitement des impacts sur le milieu naturel, puis leur réduction et en dernier lieu, la compensation des impacts résiduels si les deux étapes précédentes n’ont pas permis de les supprimer. Il reste néanmoins peu et mal appliqué du fait que « le niveau de connaissance des différents acteurs sur ce qu’est concrètement une mesure d’évitement, de réduction ou de compensation, y compris pour les agents de l’État chargés du contrôle, reste hétérogène », expliquait Charlotte Bigard, chercheuse au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (UMR CEFE) à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité en juillet 2019.

Plan biodiversité

En 2018, le plan biodiversité introduit la notion de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des Espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). C’est elle qui est reprise dans la loi Climat & Résilience du 22 août 2021 qui fixe une ambition « de solde nul de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés » d’ici à 2050. Le nouveau texte précise la notion jusque-là floue d’artificialisation en la définissant comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Renaturation des sols ou désartificialisation sont assimilées et « consistent en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé ».

Pour atteindre ces objectifs, l’article 192 modifie le Code de l’urbanisme en introduisant le nouvel article L101-2-1. Celui-ci impose désormais « l’équilibre entre la maîtrise de l’étalement urbain, le renouvellement urbain, l’optimisation de la densité des espaces urbanisés, la qualité urbaine, la préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville, la protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers et la renaturation des sols artificialisés ».

 

Décrets en cours de rédaction

La traduction concrète de ces exigences n’est pas encore aboutie. Les décrets sont en cours de rédaction. Ils préciseront les conditions d’application de ces évolutions, la nomenclature des sols artificialisés ainsi que l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme. Si leur parution n’est pas prévue avant le mois de mars, il a d’ores et déjà été décidé de ne pas inclure les toitures-terrasses végétalisées comme solution de renaturation. « Le choix a été fait de ne considérer que les surfaces au sol, en raison notamment du fait que les services rendus par les écosystèmes, notamment en termes de biodiversité et de captation de carbone, diffèrent de ceux apportés par la pleine terre et que la loi cherche à préserver », explique Sophie Ménard, cheffe de projet de la mission économie de la biodiversité de CDC Biodiversité. « De plus, explique Marc Barra, écologue au sein de l’Institut Paris Région, les objectifs de la ZAN doivent être ambitieux pour être efficaces. Lorsqu’opérations de renaturation il y a, elles doivent être réalisées sur des surfaces imperméabilisées comme les parkings ou les friches industrielles pour que les bénéfices soient réels. La mise en œuvre de toitures végétalisées par ailleurs nécessaire, ne correspond pas à de la renaturation. »

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Frustration et incompréhension

Un avis que ne partagent évidemment pas les professionnels du secteur, qu’ils s’agissent des fabricants de procédés de toitures-terrasses végétalisées ou des constructeurs. « Ne pas mentionner ces ouvrages dans les textes est pour nous une vraie source de frustration et d’incompréhension, explique Yannik Beix, président de l’Association de toitures et façades végétalisées (Adivet). La végétalisation des toits permet de renaturer des espaces par essence artificiels. De plus, leur capacité à retenir l’eau participe à la gestion des eaux pluviales, et par conséquent à la lutte contre les inondations et la pollution des eaux. Quant à leur qualité en matière de biodiversité, elles ont été maintes fois prouvées. Leurs bénéfices rentrent donc pleinement dans les objectifs de la loi ! »

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© Sergio Grazia
En zone urbaine, les toitures-terrasses participent à la nécessaire densification.

Pour Bérengère Joly, directrice juridique de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), ce parti pris risque même « de démotiver les collectivités locales et les porteurs de projet qui ont recours à ces dispositifs alors qu’ils constituent des éléments de réponse à de nombreuses problématiques auxquelles la ville est confrontée, telles que la lutte contre les îlots de chaleur, etc.. » Une erreur d’appréciation également pour Franck Petit, directeur habitat neuf pour le promoteur Procivis : « Nous avons publié en décembre dernier « 50 propositions pour construire mieux » au regard de l’objectif ZAN. Nous y déplorons notamment que la référence à la nature du sol soit le critère retenu par la notion d’artificialisation. Elle devrait, selon nous, être écartée car trop restrictive. Elle interdit d’intégrer dans les espaces naturels les parcs et jardins ou la végétalisation intégrée au bâti, ceux-là même qui permettent le retour de la nature en ville ». Pour Procivis, il faudrait même aller jusqu’à l’intégration de ces opérations de renaturation et d’agriculture urbaine dans les ENAF. « Dans le contexte du calcul des espaces artificialisés et non artificialisés, nous proposons de les comptabiliser en ENAF pour 50 % de leur superficie, la construction étant symétriquement comptabilisée pour 50 % de sa superficie », ajoute Franck Petit.

Acceptabilité sociale des projets

La toiture-terrasse végétalisée n’a pas dit son dernier mot. Elle ne sera certes pas mentionnée dans les décrets d’application de la loi mais elle peut faire valoir ses atouts par d’autres biais. « Pour donner envie aux ménages de rester en ville, ou même de venir, il est indispensable de favoriser le retour de la nature dans les zones urbaines. Cette condition est devenue, et d’autant plus depuis la crise sanitaire, un critère majeur dans les choix de lieu de vie, souligne Sophie Ménard. La végétalisation du bâti et notamment des terrasses en fait pleinement partie. ». Elle peut ainsi accompagner, par exemple, les opérations de densification par surélévation et faire pencher une balance pas toujours favorable à la création d’étages supplémentaires. Obstacles administratifs, financiers ou humains font en effet capoter plus d’un projet. Pourtant, la surélévation ne constitue pas uniquement la création de mètres carrés habitables. Elle peut aussi devenir un moyen de rénover les toitures et de leur attribuer une fonction : retour de la nature en ville, biodiversité, rétention des eaux pluviales avec la végétalisation donc mais aussi pourquoi pas production d’énergie avec le photovoltaïque, lieu d’échanges et de convivialité voire d’agriculture urbaine avec une terrasse accessible… Le tout sans emprise supplémentaire au sol et donc sans destruction de ce dernier. Cette création d’usage peut participer par conséquent à l’acceptabilité sociale des projets de densification, indispensable à leur réussite. « À l’heure où les préoccupations environnementales sont devenues évidentes, le bâtiment se doit d’être pensé pour répondre au mieux à ces enjeux, insiste l’architecte Philippe Simon. Le toit devient un sujet écologique central et le support de technologies diverses. »

La balle est aujourd’hui dans le camp des collectivités territoriales qui traduiront localement, au sein de documents tels les PLU, PLUi, Scot ou Sraddet, les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs de la ZAN. L’entreprise n’est pas simple tant « l’artificialisation revêt des réalités très différentes sur les territoires (de l’urbanisation dense à la construction d’infrastructures, en passant par le mitage et l’étalement urbain) et impose donc des actions différentes », comme rappelle l’étude « Biodiv’2050, mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation nette à l’échelle des territoires », réalisée par la CDC Biodiversité et Humanité et biodiversité.

 

La densification : le passage obligé

« Le processus de densification, qui rassemble davantage de bâtiments dans un même espace pour y faire vivre une population plus nombreuse, permet de diminuer la demande en périurbain. » C’est la conclusion du rapport de France Stratégie « Objectif ZAN : quels leviers pour protéger les sols ? » remis en juillet 2019 au gouvernement. Un scénario de densification forte (avec une densité de 0,4 et un taux de renouvellement de 0,6) permettrait d’enrayer de 75 % le rythme d’artificialisation en 2030, comparé au scénario tendanciel (avec une densité de 0,4 et un taux de renouvellement de 0,16). « Pour cela, les solutions sont finalement limitées. Il faut avant tout construire plus haut, diminuer les tailles des jardins des lotissements… », souligne Julien Fosse, directeur adjoint du département développement durable et numérique de France Stratégie et auteur du rapport.

« En jouant sur la densification de l’habitat, il semble possible de réduire la consommation d’ENAF jusqu’à atteindre un niveau minimal de surfaces artificialisées inférieur à 1 200 hectares par an en 2050. Ce niveau résiduel d’artificialisation pourrait être « compensé » par la renaturation de terres anthropisées, sous réserve du développement d’un modèle économique adapté. »

Ces compromis génèrent des gains environnementaux donc mais également économiques pour ses usagers : moins de coûts d’infrastructures, rapprochement des populations des centres urbains donc moins de dépenses de transport…

La loi Climat & Résilience impose l’exploitation des toitures des bâtiments commerciaux de plus de 500 m2

La construction d’un nouveau centre commercial qui artificialiserait des terres sans en démontrer la nécessité selon une série de critères précis et contraignants est interdite. Aucune dérogation ne sera délivrée dès lors que la surface de vente dépasse 10 000 m2. En parallèle, l’article 101 de la loi mentionne « l’obligation d’installation d’un procédé de production d’énergie renouvelable ou d’un système de végétalisation sur une surface au moins égale à 30 % de la toiture ». Celle-ci s’impose pour la construction, l’extension ou la rénovation lourde d’une surface commerciale avec création de surface de 500 m2 et plus (à la place de 1 000 m2 comme il était mentionné dans la loi biodiversité). Elle est aussi étendue aux immeubles de bureaux de plus de 1 000 m2 et aux parkings de plus de 500 m2. 

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