C’est peut-être l’un des projets les plus ambitieux de ces dernières années. Planter une forêt composée de mille arbres au-dessus du périphérique parisien, il fallait y penser. Le projet, baptisé Milles Arbres, est l’œuvre d’Ogic, La Compagnie de Phalsbourg et de deux cabinets d’architecture, l’un japonais, l’autre français. Le premier, Sou Fujimoto Architects, nourrit une réflexion continue sur les relations entre l’Homme, le bâti et la Nature, entre nature et architecture. Le second, Manal Rachdi d’Oxo Architectes, jeune agence parisienne, met la nature au cœur de la ville. Ensemble, ils ont travaillé à doter l’Ouest de la capitale d’une nouvelle ligne d’horizon en 2023, plus verte, plantée au-dessus du périphérique entre la porte Maillot et la porte des Ternes. « Pour moi la nature est une évidence. Ce n’est pas juste un élément rapporté à l’architecture, c’est une manière de concevoir », confie Manal Rachdi. Le projet intégrera sur 10 étages et 3 niveaux de sous-sol des bureaux, des logements, une crèche, un hôtel de 250 chambres ainsi qu’une rue commerçante. Sa localisation stratégique, la mixité de ses espaces en font le symbole d’un renouveau parisien, et, plus largement, d’un nouveau souffle dans la construction tertiaire. « Le concept qui sous-tend notre projet est une nouvelle façon de vivre dans un environnement urbain qui combine intimement nature et architecture. Avec Mille Arbres, vous voyez, comme dans un rêve, un village flottant au milieu d’une forêt, dans Paris. C’est une nouvelle façon de découvrir la ville », indique La Compagnie de Phalsbourg.
Forêt urbaine et îlots de fraicheur
Au-delà de la localisation ou de la mixité des usages, ce qui frappe, c’est la densité de nature. « Pour chaque projet que je réalise, j’essaie de faire en sorte qu’il y ait un équilibre entre architecture et nature, un rapport permanent. Pour Mille Arbres, le rapport est très intime, la nature se confond réellement avec l’architecture et le lien devient une évidence. Ce projet, nous l’avons souhaité hybride et écologique, tel un écosystème naturel habité, où les logements, les bureaux, hôtel et le pôle enfance sont enveloppés de nature », commente l’architecte d’Oxo.
Littéralement, ce sont donc 1 000 arbres qui vont être plantés ! Plantés au-dessus du périphérique, ils contribueront à masquer la dernière frontière de Paris, en même temps qu’ils créeront un rempart contre la pollution. Quatre thématiques distinctes ont été travaillées : un parc boisé de plain-pied, des atriums végétalisés traversant le volume de haut en bas et au septième étage, des patios comme autant d’îlots de fraîcheur, sur lesquels donneront une grande terrasse arborée au huitième et dernier étage. « Quand on fait un îlot de fraicheur, on réduit de trois degrés la température avoisinant le bâtiment », indique Manal Rachdi. C’est le principe de photosynthèse, processus bioénergétique selon lequel les végétaux absorbent du dioxyde de carbone pour rejeter de l’oxygène, grâce à l’action combinée de l’eau qu’ils puisent et du soleil qu’ils reçoivent. En grande quantité, les végétaux contribuent donc également à purifier l’air. « Cela a un effet extrêmement bénéfique sur le long terme. On réduit les émissions de CO2 mais on augmente les émissions en oxygène. Le bilan carbone est in fine beaucoup plus intéressant », ajoute Manal Rachdi. La proximité avec le périphérique pose évidemment la question de la pollution, prise en compte dans l’aménagement paysager. Ainsi, les feuilles des arbres et des arbustes seront régulièrement nettoyées par brumisation, afin que les végétaux puissent assurer leur fonction de photosynthèse en absorbant du gaz carbonique.
Frais et local
Mais donner vie à cette véritable forêt urbaine n’est pas une mince affaire. « C’est un travail d’orfèvrerie », concède l’architecte d’Oxo. Il faut choisir les bonnes orientations, les bonnes essences, réussir les bons mélanges… Et dans le domaine, comme dans la restauration, les équipes d’architectes accompagnées par l’Atelier Paul Arène, paysagiste, ont privilégié le local ! Les essences ont été sélectionnées en fonction de leur capacité à vivre à l’atmosphère urbaine. « On s’est attelé à utiliser les espèces endémiques de la région parisienne car c’est ce qui va faire qu’elles vont pouvoir survivre sur le long terme. C’est pourquoi il n’y a pas d’essences exotiques par exemple », explique Manal Rachdi. Les arbres seront ensuite répartis selon différentes typologies de strates et d’épaisseurs de terre, afin d’apporter une variété de strates végétales et de milieux, augmentant considérablement la diversité d’espèces animales, et créant ainsi un refuge pour la biodiversité.
Encore de nombreux défis
La révolution actuelle urbaine lance des défis environnementaux sans précédent. La nature serait-elle en train de reprendre ses droits ? Si, à l’avenir, tous les projets ne pourront certainement pas afficher autant d’ambitions sur le végétal que Mille Arbres, il apparaît tout de même difficile de faire l’impasse sur le sujet de la biodiversité, à l’heure où le réchauffement climatique et la relance verte sont quotidiennement sur le devant de la scène. « Il serait fou et inconscient aujourd’hui de mettre de côté le rapport à la nature dans nos projets. Certes, nous avons besoin de construire, mais cela ne peut pas être au détriment de l’environnement qui nous entoure. La nature, c’est ce qui nous permet de vivre. Nous ne pouvons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis », exprime Manal Rachdi. Mais attention, selon lui, pas question de se contenter de mettre quelques végétaux en façade. « Ce n’est pas ça, travailler avec la nature. Je pense qu’il faut imposer un certain pourcentage de biodiversité dans les constructions. 50 % me parait bien ! Cela permettrait d’apporter de vraies réponses. Le futur va très certainement être organisé autour de cela. Plusieurs villes commencent déjà à y réfléchir », avance-t-il.