Moins contraignant que les systèmes de végétalisation semi-intensifs, les procédés peu épais dominent largement le marché. Si les professionnels du secteur promeuvent les complexes plus élaborés, ils font néanmoins preuve de pragmatisme face à des contraintes parfois trop fortes. D’autant que l’extensif présente lui aussi des avantages.

C’est au début des années 2000 que le marché de la toiture-terrasse végétalisée a connu sa plus forte croissance. « Nous avons connu un coup d’arrêt en 2011. Depuis, le marché est arrivé à un plateau mais les chiffres 2019 ébauchent un frémissement. A voir s’il se confirmera au cours de ces deux prochaines années qui se révèlent d’ores et déjà atypiques en raison de la crise sanitaire. Il reste également timide rapporté au potentiel de nos toitures ou si on le compare au marché allemand, qui se compte en dizaine de millions de m²», décrit Yannik Beix, président de l’Association des toitures et façades végétalisées (Adivet) et directeur de Sopranature. Dans son analyse du « marché des produits d'étanchéité et d'imperméabilité pour l'enveloppe du bâtiment en France » publiée en novembre dernier, MSI Reports, cabinet spécialisé dans les études de marché, a évalué le nombre de m² de toitures-végétalisées installées en France à un peu plus de 2 millions en 2019, correspondant à une part du marché des terrasses inaccessibles étanchées de 7 %. Une hausse de 1 % par rapport à 2017.

Les revues spécialisées (dont Etanchéité.Info) mettent en avant des projets d’envergure, de jardins sur les toits, de potagers urbains... S’ils endossent souvent le rôle de bâtiments « vitrines », ils ne sont pas vraiment représentatifs des ouvrages communément réalisés. Pour bien comprendre les pratiques sur le terrain et mieux appréhender la réalité du marché, entrons dans le détail des chiffres. L’étude MSI Reports révèle que la part de la végétalisation extensive représente, comme en 2017, 97 % des systèmes mis en œuvre contre 3 % pour les complexes semi-intensifs.

Terminologie

Le terme de « végétalisation extensive » évoque pour beaucoup ces tapis de sedum déroulés sur des centaines de mètres carrés, à l’attrait esthétique et aux qualités parfois décriés et taxés de greenwashing. Or, la réalité est plus complexe et un petit rappel terminologique s’impose. En effet, la typologie de la terrasse végétalisée dépend non pas des végétaux mais de l’épaisseur du substrat dans lequel ils sont plantés.

Pour retrouver les définitions des différents complexes, « segmentation partagée au niveau international », précise l’Adivet, il faut se reporter aux « Règles professionnelles pour la conception et la réalisation des terrasses et toitures végétalisées ». Publiées par la Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE) en 2002 et mises à jour pour la troisième fois en mai 2018 avec l’Adivet, leur objectif est d’établir un socle de préconisations techniques communes à tous les acteurs du secteur. Le document fait tout d’abord le distinguo entre toiture-terrasse « jardin » et toiture-terrasse « végétalisée ». La première est décrite dans les NF DTU 43.1 et 43.11. Elle affiche une épaisseur importante de substrat ou de terre végétale (> 30 cm) et par conséquent de fortes charges. La végétation y est diversifiée et pourquoi pas de grande hauteur. Son entretien équivaut à celui d’un espace vert. La seconde, dont les Règles précitées constituent le référentiel applicable, représente une famille de procédés composée de végétalisation « extensive » (épaisseur de substrat entre 4 et 12 cm, végétalisation adaptée à cet environnement contraignant, fonctionnant en quasi-autonomie et formant un tapis végétal permanent, à faible entretien) et « semi-intensive » (complexe de culture d’épaisseur comprise entre 12 et 30 cm, palette végétale large, arrosage régulier et entretien modéré).

Confusion

Dans la pratique, «une confusion existe entre solutions extensives « épaisses » (> 10 cm) et solutions semi‐intensives », expliquait en mars 2018, lors d’une conférence organisée par Naturparif, François Lassalle au nom de l’Adivet. « Au-delà de 8 cm d’épaisseur de substrat, la toiture est toujours extensive mais elle s’ouvre à une palette végétale, introduite ou spontanée (graminées, vivaces…), beaucoup plus large que les seuls sedum. La tendance aujourd’hui tend à favoriser ces types de solutions », confirme Yannik Beix. Toujours selon l’Adivet, ces ouvrages représenteraient un tiers des procédés extensifs installés. De quoi écorner l’idée préconçue selon laquelle les toitures extensives se ressemblent toutes… et ne servent à rien. Car au-delà même de l’aspect esthétique (qui dit plus d’espèces dit plus de variations de couleurs et de hauteurs), cette relative diversité joue également un rôle en matière de biodiversité, comme le montre l’étude Grooves (pour Green Roofs Verified Ecosystem Services) de l’Agence régionale de la biodiversité (ARB) d’Île-de-France achevée il y a quelques mois. Il a également été admis qu’une TTV pouvait être considérée comme performante en matière de rétention et d’abattement des eaux de pluie à partir de 10 cm d’épaisseur de support de cultures (voir Etanchéité.Info n°66). Des qualités encore améliorées par « des substrats aux niveaux d’élaboration et de technicité en constante progression. C’est le cas par exemple de leur performance en matière de Charge maximale en eau (CME) », souligne Yannik Beix. La Marie de Paris a d’ailleurs enrichi en 2016 son règlement du Plan local d’urbanisme (PLU) en ce sens. L’objectif : imposer la végétalisation des toitures plates de plus de 100 m2 de superficie, avec une épaisseur minimale de 10 cm de substrat « afin de garantir les services écosystémiques attendus par ces réalisations » Depuis, 6 hectares de TTV de plus par an sont installées dans la ville qui veut aller plus loin, non seulement en quantité mais aussi en qualité. « La révision du PLU offrira l’opportunité d’intégrer de nouveaux objectifs qualitatifs, portant notamment sur l’épaisseur du substrat, et d’inscrire les toitures végétalisées dans la stratégie de résilience urbaine de Paris (préservation de la biodiversité, développement des trames vertes, gestion des eaux pluviales, lutte contre les îlots de chaleur, autonomie énergétique…). »

Rédaction d’un référentiel

Car si, aujourd’hui, les qualités et performances des toitures-terrasses végétalisées sont reconnues même avec une faible épaisseur de support de cultures, il est également démontré qu’elles s’améliorent en même temps que l’épaisseur du substrat. Cette montée en gamme des procédés, tout le monde l’espère, avec en première ligne, les fabricants. « Nous remplissons notre rôle de conseil en mettant en avant les avantages à se tourner vers un système de végétalisation plus « biodiverse » voir un système semi-intensif, explique Lionel Sindt, responsable technique chez Sopranature. Si le stade du projet le permet, nous essayons de réorienter les objectifs visés pour aller vers plus de performances. » Yannik Beix ajoute : « C’est pourquoi nous travaillons actuellement à la rédaction d’un référentiel qui permettra de qualifier de manière lisible les performances et les bénéfices écosystémiques d’une TTV (la rétention d’eau - argument souvent clé pour motiver sa mise en œuvre – la lutte contre l’îlot de chaleur urbain grâce à l’évapotranspiration, la biodiversité ou la santé/qualité de vie)) en fonction de son épaisseur de substrat mais aussi de sa teneur en eau, de la densité des plantes, de la saison… » Sa parution est prévue pour 2021.

On est donc encore très loin de la généralisation du semi-intensif. Pour les fournisseurs de systèmes, il faut avant tout faire preuve de pragmatisme car les obstacles sont nombreux et pas toujours franchissables. Le premier d’entre eux, c’est la structure, qui n’admet pas toujours de surcharges trop importantes. « Pour l’essentiel du parc immobilier, le seuil courant de charges admissibles ne dépasse pas 150 kg/m², ce qui correspond au poids des procédés extensifs les plus épais avec une végétalisation composés de sedum, graminées et vivaces », souligne Lionel Sindt.  Vient ensuite le prix. « Il serait préférable que les avantages des végétalisations semi-intensives, intégrées au départ au projet, l’emporte sur la tentation, lors de la mise en œuvre, de revenir à un système extensif basique plus économique », rappelle Raphaël Dupont, responsable commercial chez Toitvert-Optigreen. Le cas de figure est courant. L’entretien enfin qui, s’il est  obligatoire sous peine de contre-performance, reste peu contraignant, contrairement aux systèmes semi-intensifs.

Ces types de contraintes sont monnaie courante notamment en rénovation ou sur structures légères. C’est pourquoi, les professionnels de la végétalisation ne sous-estiment pas le potentiel des complexes extensifs. « Les différents types de systèmes ne doivent pas être mis en concurrence les uns avec les autres, souligne Raphaël Lamé, dirigeant du Prieuré. Dans certains cas, un tapis de sedum sur 10 cm d’épaisseur de substrat est la seule solution admissible. Il ne faut pas s’en priver. » D’autant plus que, lui tourner le dos, reviendrait à se couper à la fois d’un potentiel important de toitures végétalisables et de tout un marché.

Le rôle des maîtrises d’ouvrage

Les toitures-terrasses végétalisées peuvent être installées sur tous les types d’ouvrages et ce quelle que soit la nature de l’élément porteur (béton, acier, bois, sous réserve d’admissibilité des charges), en neuf comme en rénovation. Logements, bureaux, bâtiments logistiques, publics... constituent, dès lors qu’ils disposent d’un toit plat, des surfaces potentielles d’aménagement. Il en va de la volonté des maîtrises d’ouvrage, de leur connaissance du procédé et bien entendu, de leur budget. « Les pouvoirs publics comme les bailleurs sociaux sont investis d’une mission de bien commun. Or, les services écosystémiques d’une toiture-terrasse végétalisée profitent à tous », explique Yannick Beix, président de l’Association des toitures et façades végétalisées (Adivet). Un parti-pris qui peut également séduire les promoteurs de logements privés pour qui « la valorisation du bien immobilier devient ici le premier argument. »

Dans le tertiaire, « la quête de labellisations et de certifications (Leed, Breeam, HQE, Biodivercity …) des immeubles de bureaux incite à intégrer une dimension environnementale à l’ouvrage dès la phase conception. Il s’agit là d’un levier réel pour le développement des toitures végétalisées sur ces bâtiments », précise Raphaël Lamé, dirigeant du Prieuré.

Néanmoins, les mentalités demandent encore à évoluer. « Il n’y a parfois que l’obligation des pouvoirs publics pour convaincre les maîtres d’ouvrage », insiste l’architecte Gaëtan Engasser.

L’accessibilité : le truc en plus

Une toiture-terrasse végétalisée avec zones accessibles (généralement protégées par des procédés de dalles sur plots), est de plus en plus considérée comme un atout pour le bâtiment, qu’il s’agisse d’investisseurs et de propriétaires comme pour des utilisateurs et des locataires. Il s’inscrit alors dans la tendance actuelle de multiplication de typologies d’espaces et de nouvelle demande de flexibilité des lieux pour s’adapter à toutes formes d’utilisation. De la même manière, l’installation de potager a généralement autant pour objectif de produire des fruits et légumes que de créer du lien entre les collaborateurs, les habitants, les élèves, le quartier et les sensibiliser aux problématiques de la préservation de la nature et de la biodiversité.

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