Leurs surfaces de toiture-terrasse se comptent en millions de mètres carrés. Jusque-là peu exploitées, la loi leur impose désormais de devenir support de végétalisation ou de panneaux photovoltaïques. Désormais rentables économiquement, ces derniers sont privilégiés par un secteur aujourd’hui prêt, pour la plupart, à offrir à leurs ouvrages une seconde fonctionnalité.

Dans le neuf, « les principaux débouchés d’une centrale photovoltaïque en toiture-terrasse sont clairement les bâtiments commerciaux, entrepôts et autres hangars ». Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, syndicat de l’énergie solaire renouvelable le rappelle : les incitations réglementaires visent exclusivement ces types d’ouvrage. Quid des bâtiments de logements ? « Contrairement à la loi Climat & Résilience, la RE2020 ne pousse pas à l’installation de panneaux solaires sur les toits des immeubles d’habitation », confirme Nicolas Randria, secrétaire général du Groupement des métiers du photovoltaïque (GMPV-FFB). En cause entre autres : des données environnementales défavorables et une valorisation de l’autoconsommation non seulement excluant l’énergie réinjectée au réseau mais également limitée au périmètre des cinq usages de la RT2012 (chauffage, refroidissement, ECS, éclairage et auxiliaires de ventilation et de distribution). Ne sont pas pris en compte ce qu’Enerplan appelle les sixième et septième usages, c’est-à-dire les consommations électriques spécifiques tels que les appareils informatiques et les infrastructures de recharge de véhicules électriques. Pour l’organisme, la RE2020 « constitue un véritable retour en arrière par rapport à la RT2012 qui avait certes un seuil « hors solaire PV » mais aussi un seuil avec PV où tout le PV pouvait être valorisé ».

Pour le moment, en France en tout cas, l’avenir du photovoltaïque sur bâti sera donc ailleurs. Les négociations en cours au sein des instances européennes sur la performance énergétique des bâtiments pourraient à terme faire évoluer la tendance mais il est encore trop tôt pour l’envisager fermement. Les pouvoirs publics misent plutôt aujourd’hui sur ces immenses bâtiments en acier généralement de plain-pied à usage commercial, de stockage, logistique… Or, ce marché explose pour répondre aux besoins de l’e-commerce et de réindustrialisation du pays. Eol, spécialiste de l’immobilier pour la logistique et l’industrie a évalué le nombre de mètres carrés transactés en 2021 à 3 700 000, soit une hausse de 34 % par rapport à 2020 et de 12 % par rapport à 2019. 28 % de ces opérations concernent des ouvrages de plus de 50 000 m². Pour le seul immobilier logistique, l’association Afilog, qui en rassemble les acteurs, estime à 1,5 million le nombre de mètres carrés construit chaque année, « avec des surfaces de toiture atteignant souvent 40 000 m² », précise Diane Diziain, sa directrice déléguée. Pour couvrir les besoins à venir, à commencer par la logistique industrielle et la relocalisation des stocks qui en découle, il faudrait en construire 20 millions dans les dix ans à venir.

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(c) Soprema
L’autoconsommation permet aux bâtiments commerciaux de réduire de manière conséquente leur facture énergétique.

Prix de l’énergie

Si l’on met en parallèle ces chiffres avec l’obligation instaurée par de la loi Énergie Climat en novembre 2019 et durcie par la loi Climat & Résilience d’août 2021 obligeant les opérateurs à végétaliser ou équiper de dispositifs de production d’énergie renouvelable les toitures de ces nouvelles constructions de plus de 500 m2 , la conclusion est rapide : le potentiel pour le photovoltaïque est très important. D’autant plus que « la mise en œuvre d’une telle centrale constitue un atout économique : elle est rentable grâce aux incitations légales et aussi, de manière plus conjoncturelle, en raison de la hausse des prix de l’énergie dont on ne sait quand elle s’arrêtera », précise Jean Damian, dirigeant de Soprasolar. En effet, selon Perifem, organisme fédérant les acteurs de la distribution, la facture énergétique de ces bâtiments pourrait doubler l’année prochaine. Résultat, « pour les acteurs du secteur, la question n’est plus : « dois-je installer du photovoltaïque sur la toiture de mon ouvrage ? » mais plutôt « comment le faire ? » », ajoute le directeur de Soprasolar.

Autoconsommation

L’autoconsommation apparaît ici comme le modèle le plus vertueux et le plus économiquement efficace. Les bâtiments commerciaux, logistiques et industriels fonctionnant majoritairement en journée, l’électricité produite en toiture peut être directement consommée. Le surplus est revendu au réseau. « Nous estimons qu’en moyenne, la production d’électricité photovoltaïque en toiture couvre environ 30 % de la consommation d’un magasin sur un an », souligne Franck Charton, délégué général de Perifem. Afilog rappelle quant à elle que les entrepôts produisent bien plus d’électricité que ce qu’ils consomment : 10 % de l’énergie produite pour un entrepôt classique, 20 % à peine pour un entrepôt frigorifique. Le reste peut être soit injecté dans le réseau, soit proposé à l’autoconsommation élargie, par exemple aux entreprises et villages voisins.

Pour à la fois répondre aux besoins économiques et augmenter la production nationale d’énergie renouvelable, verra-t-on fleurir des millions de mètres carrés d’immenses bâtiments en acier qui, il faut le dire, font grincer quelques dents ? Non répondent les pouvoirs publics. Car leur multiplication entre en contradiction avec l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des Espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) de la même loi Climat et résilience du 22 août 2021. Elle fixe une ambition « de solde nul de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés » d’ici à 2050 (voir Étanchéité.Info n°73). Le serpent se mord la queue… Pour tenter d’apporter une réponse à cette problématique, Afilog a publié en mars dernier une lettre ouverte plaidant pour « la facilitation de l’installation de ces centrales photovoltaïques toujours plus vastes et efficientes sur les toitures des entrepôts. Elles contribuent à atteindre les objectifs ZAN portés par le gouvernement », avançant même « qu’un double usage de la logistique et de la production d’énergie permet dans le même temps d’intensifier l’utilisation du foncier ». Misant sur l’autoconsommation, elle promeut donc le double usage du bâtiment logistique : en plus de ce qu’il s’y fait à l’intérieur, il devient également producteur d’énergie locale.

Engagement

Selon l’association, les acteurs du secteur sont prêts à s’engager dans cette démarche. Raccorder plusieurs milliers de mètres carrés de panneaux photovoltaïques sur les toitures-terrasses de bâtiments XXL constituerait « la nouvelle norme en matière de construction d’entrepôts ». Les membres d’Afilog ont signé avec le gouvernement en juillet 2021 une charte dans laquelle ils s’engagent à couvrir de modules 50 % des toitures à la place des 30 % obligatoires. Certains acteurs de l’immobilier logistique se sont mêmes spécialisés dans la production d’énergie renouvelable sur les toitures des entrepôts qu’ils construisent. « Nous avons choisi de développer partout et de façon systématique le photovoltaïque en créant nos propres centrales dont nous restons propriétaires, explique Christophe Bouthors, président du groupe Panhard. Elles ont la capacité d’alimenter en moyenne entre 1 500 et 2 000 foyers d’équivalent consommation annuelle. Sur l’année 2022, nous aurons lancé la construction de plus de 15 MWc sur trois ouvrages. »

Si l’association, et plus largement les professionnels du secteur sont entendus, le marché du photovoltaïque sur toitures commerciales, logistiques et industrielles pourrait s’intensifier. Sous réserve que la pénurie et la hausse des prix des matériaux et matériels ne stoppent pas net la tendance. Pour plusieurs filières de la construction et particulièrement les étancheurs, l’opportunité est à saisir. Ces nouvelles toitures grand format constituent autant de débouchés pour le secteur. D’autant plus que si certaines réticences sur la fiabilité des procédés ont pu freiner les velléités il y a quelques années, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Rénovation et PV Ready

Le nombre de surfaces commerciales, logistiques et industrielles existantes se compte en millions de mètres carrés. Leurs toitures sont pour la majorité non exploitées. Ne peut-on rien en faire ? Si, mais l’opération est complexe. La quasi-totalité de ces ouvrages sont en acier et n’ont pas été dimensionnés au départ pour permettre un apport de charges supplémentaires. L’installation d’une centrale photovoltaïque demande alors de renforcer la structure mais aussi de remplacer le procédé d’étanchéité avec un système apte à recevoir des panneaux, augmentant de fait la lourdeur des travaux et leur coût. Résultat, les projets sont rarissimes.

Pour Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, afin d’éviter à l’avenir ce genre de blocage, il faudrait dorénavant ne construire que des bâtiments aptes à produire a posteriori de l’électricité en toiture. « Nous avons demandé au gouvernement d’intégrer cette notion de PV Ready dans les exigences de construction mais nous ne l’avons pas obtenue. Nous risquons de voir sortir de terre des bâtiments périmés dans quelques années car incapables de s’adapter aux besoins. » À noter que l’intégration du concept de Solar Ready dans la stratégie solaire européenne dévoilée par la Commission européenne le 18 mai dernier pourrait faire évoluer les choses.

Néanmoins, pour Jean Damian, directeur de Soprasolar, l’idée n’est pas si bonne que cela. « La conception et l’édification d’un ouvrage sont réalisées à une date donnée en fonction des produits disponibles sur le marché. Or ces derniers évoluent et ce qui était alors possible de faire ne l’est plus quelques années plus tard car ils ont changé. C’est particulièrement le cas pour les panneaux photovoltaïques. Ils sont de plus en plus grands avec toutes les contraintes de résistance et de poids que cela suppose . Par conséquent, une toiture a pu être conçue pour accueillir une centrale mais les panneaux admissibles n’existent plus. Le maître d’ouvrage se retrouve alors dans la même situation que s’il n’avait rien fait. »

Et sur les bureaux ?

Soumis eux aussi à la RE2020, les bâtiments de bureaux ne bénéficient pas plus que les logements d’incitation réglementaire en matière de production d’énergie photovoltaïque en toiture. Le contexte est néanmoins différent et plus propice à ce type d’installations. L’importance croissante de la valeur verte des actifs pousse à la conception d’ouvrages performants énergétiquement et le photovoltaïque y contribue. Ils sont également soumis à des charges importantes, en constante augmentation depuis le début de la crise de l’énergie. Produire en propre ferait donc baisser les factures d’autant plus que le rythme d’utilisation de ces bâtiments, majoritairement en journée, coïncide avec les heures d’ensoleillement et permet d’optimiser, au moins en semaine, l’autoconsommation. « L’électricité produite peut permettre de recharger les batteries des véhicules électriques par exemple et participer ainsi à la mobilité des collaborateurs. Cet investissement peut faire gagner en attractivité tout en participant à la décarbonation des moyens de transport », ajoute Richard Loyen, délégué général Enerplan. 

Dossier réalisé par Adeline Dionisi : 

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