
La société Etandex a accueilli plus de 50 alternants en 2021.
«Le bâtiment est un des premiers secteurs économiques en France. Au premier trimestre 2022, il représentait 1 756 000 actifs, apprenants compris. C’est extraordinaire », a rappelé Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment lors d’une conférence de presse en juin dernier. Sur cette période, 8 000 emplois ont été créés. Extraordinaire oui, suffisant non. Pour honorer les carnets de commandes, il en faudrait 150 000 d’ici la fin 2023. Ce manque de main d’œuvre impacte l’activité des entreprises et le combler relève du casse-tête. Car si les postes existent, les candidats ne se bousculent pas. Selon une étude réalisée en février 2021 par l’Observatoire des métiers du BTP, sept entreprises du secteur sur dix connaissent des difficultés de recrutement et ce partout en France. « Quand j’entends qu’il n’y a pas de travail pour les jeunes, je ne peux pas laisser dire ça, raconte Florent Guilabert, dirigeant de l’entreprise d’étanchéité Etphobat à Marseille, PME de 9 salariés. Il y a deux postes à pourvoir dans mes équipes. Je ne trouve personne pour les occuper. » À qui la faute ? Les métiers du bâtiment ont mauvaise réputation : travail pénible physiquement, en extérieur par tous les temps, avec des déplacements importants… Un verre à moitié vide qui fait oublier que le bâtiment ce sont aussi des métiers indispensables, concrets, variés, non délocalisables avec des salaires attractifs et de nombreuses perspectives d’évolution.
Tous les corps d’état sont concernés. L’étanchéité aussi, d’autant plus que la profession manque de notoriété. Les besoins sont difficiles à évaluer mais à titre d’exemple, Smac a embauché 250 collaborateurs en 2021 et envisage désormais 300 recrutements par an. Les entreprises de taille plus modeste sont logées à la même enseigne. Toutes développent des trésors d’imagination pour trouver des postulants, avec les moyens du bord car dans les PME, il n’existe pas toujours de service dédié. Bouche à oreille, interventions auprès des jeunes, dans les établissements scolaires, avec Pôle emploi, les compagnons du devoir, les missions locales, les Groupements d’employeur pour l’insertion et la qualification (GEIQ), les structures de réinsertion professionnelle, les associations de réfugiés… Les centres de formation, eux aussi confrontés à la problématique, font jouer leur réseau. Même les agences d’intérim s’y sont mises.
La CSFE en soutien
La profession est aidée par la Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE) et sa commission formation, qui la soutiennent et l’accompagnent avec le déploiement d’actions spécifiques : l’amélioration des formations existantes, la reconnaissance ou la mise en place de parcours de formation adaptés aux nouvelles réalités des métiers et ouverts à tous, la signature de partenariat avec des structures spécialisées dans la recherche de candidats. Bref, le recrutement est un parcours du combattant qui se joue en équipe. Et passe par la formation car ce qu’il manque, c’est bien le personnel qualifié.
Quels sont les profils recherchés ? « Tous ! » répondent en chœur les intéressés. Du compagnon à l’encadrant, tous les niveaux de hiérarchie sont concernés. Pour trouver ces perles rares, « nous nous sommes rendu compte que l’apprentissage constitue l’une des meilleures méthodes pour former les compagnons à nos métiers qui sont très techniques et embaucher nos futurs chefs d’équipe et chefs de chantier », explique Sylvain Porras, directeur du développement de l’entreprise Etandex qui a pris en charge plus de 50 alternants l’année dernière et compte faire plus en 2022. Chez Smac, « ils représentent 4 % de nos effectifs », précise Guillaume Comby, son directeur des ressources humaines adjoint. Une stratégie mise en place pas une entreprise du BTP sur cinq.
« C’est un investissement, certes mais gagnant car nous formons dans un objectif d’embauche. À la fin de leur cursus, les alternants sont opérationnels rapidement : ils connaissent déjà à la fois les bases du métier et le mode de fonctionnement de l’entreprise pour y avoir été en stage », rappelle Sinicha Knezevic, directeur général de l’entreprise d’étanchéité SIE dans la région lyonnaise. Un message qu’il souhaiterait mieux entendu, car certaines sociétés restent encore réfractaires à l’exercice. En cause notamment : la fréquence des cursus abandonnés en cours de route. L’Observatoire des métiers du bâtiment estime à 27 % le nombre personnes sortant d’une formation sans diplôme. L’organisme explique notamment cette volatilité par « la tendance au consumérisme qui semble s’amplifier. Les nouveaux comportements liés à la formation ont évolué avec une propension aux apprentis « zappeurs » de la formation initiale qui se développe ». D’autres facteurs entrent évidemment en compte comme l’erreur d’orientation ou l’éloignement géographique. « La contrainte de l’hébergement reste majeure et peut pousser à l’abandon lorsque se loger coûte trop cher ou que les trajets sont trop longs », souligne Paul Kouyoumdjian, chargé de projet formation au sein du CFA Cité technique de Marseille.

(c) CFA cité Technique de Marseille
Le Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « Etancheur du bâtiment » s’adresse aux jeunes de moins de 25 ans (ici dispensé au CFA Cité technique de Marseille).
Savoir-être
C’est pourquoi les recruteurs ont révisé leur mode de sélection. « Nous ne recherchons pas de compétences ou qualifications particulières mais avant tout un savoir-être de la part des candidats. Ils doivent avoir un projet professionnel clair, connaître les réalités du terrain, bonnes et mauvaises, ses règles, les accepter et s’engager », insiste Marie Blaise, co-fondatrice et directrice de l’Ecole Gustave. Les argumentaires pour convaincre et développer des vocations se développent. Certes un étancheur travaille dehors, parfois sous des conditions climatiques difficiles. Il ne doit pas être sujet au vertige, ni être mal à l’aise avec la manipulation du feu. Mais il peut également se prévaloir d’assurer la longévité des bâtiments, de verdir la ville, de créer des lieux festifs ou de permettre de produire de l’énergie renouvelable. Le tout en ayant accès à des vues souvent époustouflantes !
« Nos métiers méritent d’être valorisés aux yeux du plus grand nombre. L’information et la communication en ce sens doivent s’intensifier », rappelle Florent Guilabert. Et notamment en direction des jeunes. « Nous allons faire face à de nombreux départs à la retraite dans les années à venir. Il faut inverser la pyramide des âges pour assurer l’avenir de la profession », insiste Sinicha Knezevic. Pour les toucher, les réseaux sociaux deviennent de nouveaux vecteurs. Ainsi, la CSFE a mis en ligne au début de l’été sur Youtube une vidéo réalisée avec un influenceur aux 300 000 abonnés qui suit Yassine, étancheur et fier de l’être. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle a déjà été visionnée plus de 60 000 fois. Les entreprises s’y sont également essayées comme Etphobat, Soprema Entreprises, Smac… Le CFA Cité technique de Marseille a quant à lui ouvert un profil Instagram et le CFM BTP de Trappes poste régulièrement sur LinkedIn.
Pour les stagiaires qui vont au bout, l’apprentissage, même de courte durée, offre des perspectives alléchantes. « 80 % des personnes que nous avons intégrées dans notre structure ont obtenu un poste à la suite de leur formation. Non seulement les postulants s’initient à un métier qui leur permet de monter en compétences et de s’insérer dans le monde du travail mais en plus, ils peuvent prétendre, pour les plus motivés à des évolutions professionnelles rapides », souligne Guillaume Danel, directeur du développement au sein du groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification BTP (GEIQ BTP) Haut de France. En effet, pour fidéliser les précieuses nouvelles recrues, chez SIE, par exemple, on parie sur la souplesse des horaires, l’ambiance avec l’installation d’espace de détente au sein des locaux, l’organisation d’événements conviviaux… Smac de son côté, soutient le partage de la valeur à travers des dispositifs d’épargne salariale et favorise autant que possible la mobilité interne.
La hausse des salaires, la formation continue sont autant d’autres pistes explorées par les entreprises.
Les apprentis étancheurs nous parlent d’eux
Les futurs étancheurs, qui sont-ils et que disent-ils ? Pour en savoir plus, nous nous sommes rendus au CFM BTP de Trappes, qui forme et délivre notamment des CAP et BP étancheurs, pour y rencontrer les étudiants en fin de première année de CAP. Pierre a 18 ans et un oncle dans l’étanchéité qui lui a fait découvrir la profession. Ce qu’il aime avant tout, « c’est travailler dehors et surtout sur les toits car l’environnement peut être exceptionnel. J’apprécie le travail de soudure et j’ai l’intention de poursuivre dans cette voie », raconte-t-il. Son avenir, il le voit bien à la tête de sa propre entreprise. Une ambition partagée par beaucoup comme José, 22 ans. Après avoir arrêté l’école pendant plusieurs années, il a retrouvé aujourd’hui le goût du travail, « surtout en extérieur et en hauteur. Après mon CAP, j’aimerais poursuivre par le BP et pourquoi pas un BTS. Mon objectif : créer ma propre structure au Portugal, mon pays d’origine. »
Et puis, il y a Abdou Karim. Lui a 36 ans et une expérience en maçonnerie acquise au Mali. Il découvre l’activité d’étancheur sur un chantier. « Le coup de foudre. J’ai tout de suite su que je voulais en faire mon métier. » Avec l’aide d’une association, il s’inscrit en CAP et le succès est au rendez-vous. « Il est moteur dans le groupe, j’ai une entière confiance en lui », se réjouit son formateur Patrice Briant. Prudent, Abdoul Karim affirme d’abord viser la validation de son CAP avant de voir plus loin. Le BP ? « On verra. »
Quant à Issouf, qui a 20 ans, il le dit lui-même : « je suis arrivé ici un peu par hasard, sur les conseils d’un ami. » Cette découverte lui a plu. Lui aussi envisage à terme de monter sa propre entreprise. Et pourquoi pas avec son petit frère qu’il a convaincu de venir suivre lui aussi la formation. Une belle histoire de famille en perspective !

(c) Pyc
Abdou Karim, 36 ans :« J’ai tout de suite su que je voulais en faire mon métier. »

(c) Pyc
José, 22 ans :« Après mon CAP, j’aimerais poursuivre par le BP et pourquoi pas un BTS. Mon objectif : créer ma propre structure. »

(c) Pyc
Pierre 18 ans : « Ce que j’aime avant tout, c’est travailler dehors et surtout sur les toits car l’environnement peut être exceptionnel »

(c) Pyc
Issouf, 20 ans : « Je suis arrivé ici un peu par hasard, sur les conseils d’un ami mais je ne regrette pas ! »
Six grands profils d’entrants dans le secteur du BTP
L’Observatoire des métiers du bâtiment, dans une étude publiée en juin 2021, a identifié six grands profils d’entrants dans le secteur du BTP :
- Les « déterminés » pour qui les métiers du bâtiment « leur permettent de s’accomplir et de réussir professionnellement. Ils ont un projet et resteront probablement dans le BTP ».
- Les « attentistes » y voient surtout la possibilité d’avoir un emploi à court terme et « quitteront certainement un secteur auquel ils sont peu attachés ».
- Les « opportunistes » cherchent avant tout un poste correspondant à leur style de vie.
- Les « rescapés » considèrent le métier « comme un moyen de s’insérer socialement » et ont bien l’intention de rester dans le secteur.
- Les « contraints » vivent généralement cette orientation comme une obligation scolaire, familiale… et ne resteront pas.
- Les « déçus » de leur expérience.
Ce qu’ils en attendent ? L’évolution vers des postes à responsabilité, la création à terme de leur propre entreprise, le développement d’un savoir-faire spécifique, l’autonomie et la libération des contraintes hiérarchiques et l’adaptation à un style de vie.
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