• Si les industriels affichent tous des intentions ambitieuses en matière d'écoconception de leurs gammes, ces dernières sont encore largement minoritaires. Leur surcoût, le contexte normatif et le poids des habitudes freinent leur développement sur le marché.
  • Le débat sur les qualités environnementales des bâtiments se concentre majoritairement sur les performances énergétiques et thermiques. Ces dernières conditionnent notamment les aides gouvernementales. Les caractéristiques « vertes » des produits de construction sont reléguées au second plan alors même que les labels environnementaux, qui les prennent en compte, sont de plus en plus demandés. Les matériaux jouent clairement un rôle dans le bilan écologique global de l'ouvrage, de sa conception à sa dépose, en passant par sa construction.

    FDES

    Pour connaître les caractéristiques des matériaux, l'Association des industries des produits de construction (AIMCC) a conçu dès 1995 les Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Ces documents standardisés analysent le cycle de vie d'un matériau et l'associent à des informations sanitaires. L'objectif : permettre aux prescripteurs (architectes, bureaux d'études, promoteurs…) d'évaluer la contribution des produits de construction à la performance d'un bâtiment à travers des indicateurs, des unités communes et de l'ouvrage dans sa globalité.

    Jusqu'en 2004, ces évaluations étaient encadrées par la norme française NF P 01- 010. Elle a été remplacée en 2014 par la NF EN 15804+A1, harmonisation européenne oblige ( voir encadré ). « Elle est complétée en France par la norme expérimentale XP P01- 064/CN. Le pays, plus exigeant que l'Europe en la matière, a complété le document avec plusieurs prérogatives spécifiques plus contraignantes, dont un arrêté et un décret du 23/12/2013 », précise Philippe Domange, chef de produits chez Sika France. Ces normes, publiées en 2014 ajoutent des clarifications et des exemples facilitant la mise en œuvre de la norme européenne. Elles reprennent également certains éléments initialement présents dans la norme française NF P 01- 010 (calcul des indicateurs pollution de l'eau et pollution de l'air, traitement des aspects sanitaires et confort…). Elles constituent une source d'informations complémentaires, sans exigence de performance particulière et relèvent d'une démarche volontaire.

    Les produits du marché de l'étanchéité sont généralement accompagnés de FDES mises à jour tous les cinq ans. La Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE) propose également des fiches collectives correspondant « à la moyenne des impacts générés par les systèmes des fabricants adhérents participant à la démarche ». Membrane bitumineuse, membrane synthétique, étanchéité liquide et asphalte sont notamment concernés, prenant en compte l'ensemble des combinaisons possibles en termes de composition, de mode de pose, de types de protection... Par exemple, dix fiches différentes ont été établies pour les systèmes bitumineux, tels que l'étanchéité bicouche auto-protégée fixée mécaniquement, l'étanchéité monocouche auto-protégée soudée, l'étanchéité bicouche en indépendance sous protection lourde, etc. Leur révision est en cours.

    REACH

    Mais le premier facteur d'évolution reste la réglementation qui s'impose aux fabricants. C'est le cas particulièrement du Réglement Reach. Depuis son entrée en vigueur en 2008, il vise à sécuriser l'utilisation des produits chimiques. Comme le précise le ministère du Développement durable, « son objectif est de limiter les risques liés à leur production et à leur utilisation pour protéger la santé du citoyen, du travailleur et de l'environnement ». Par exemple, conformément au calendrier réglementaire, les substances entrant dans la composition des membranes bitumineuses, synthétiques ou d'étanchéité liquide, ont toutes été soumises à enregistrement. « Les industriels ont fait évoluer leur formulation pour trouver des substituts tout en conservant les performances et les caractéristiques physiques et mécaniques des produits », souligne Philippe Domange.

    PRODUITS SPÉCIFIQUES

    La réglementation pousse donc les industriels de l'étanchéité à s'engager dans une démarche à caractère environnemental. Les départements de R&D et les directions dédiées travaillent sur ces problématiques aussi pour d'autres raisons : suivre la stratégie du groupe, s'offrir une image d'entreprise responsable et, dans une moindre mesure, répondre à une demande.

    Certains, comme Soprema, ont élaboré des labels « maison ».

    Par l'étiquette « éco-struction », le fabricant marque les produits dont l'impact environnemental est réduit (sans solvant, avec matières biosourcées…). « 5 % de nos produits sont concernés », rappelle Rémi Perrin, directeur R&D de Soprema. Chez Siplast-Icopal, c'est la gamme Eco-Activ qui propose aux clients des solutions affichées comme « vertes ». Meple a lancé « l'appellation « Feel Green » pour les produits plus écologiques (primaires et étanchéités liquides sans solvant ou EAC basse température) ou intégrant des composants recyclés tels que des couches filtrantes et drainantes pour systèmes végétalisés », précise Lionel Vermandel, directeur technique du groupe. Enfin, Axter élargit l'usage de son liant bitumineux breveté Alpa « qui a permis notamment de développer plusieurs produits telle qu'une nouvelle gamme de pare-vapeur Rollstick, applicable sans EIF, ni colle », souligne Raphaël Bernard, chef de marché.

    Au sein des usines de fabrication, les certifications ISO 14001 sont devenues courantes et l'outil de production s'est adapté au remplacement d'un composant par un autre. Une réflexion s'est également engagée autour des déchets de conditionnement avec, par exemple, chez Meple ou chez Axter, le recours à l'adhésif imprimé en polypropylène plutôt qu'à des emballages en papier pour maintenir les membranes enroulées. Eliminé lors du soudage, il ne génère pas de déchet, ni de pollution. Pour les résines ou les produits liquides tels que les primaires de préparation des supports, des industriels proposent des seaux avec sachets intégrés qui seuls se jettent.

    La question du transport est, quant à elle, peu abordée et se pose parfois de manière détournée, comme l'explique Rémi Perrin : « le succès des produits sans solvant est moins dû à leur composition qu'au fait que le coût de leur transport est réduit par rapport aux matériaux avec solvant. En effet, n'étant plus considérés comme dangereux, leur acheminement est plus facile et donc moins onéreux. C'est une création de valeur que nous n'avions pas imaginé ».

    Reste que les initiatives en matière d'écoconception sont encore limitées et ponctuelles, d'autant plus que les prescripteurs privilégient majoritairement le service rendu (végétalisation, rétention d'eau…) plutôt que l'impact environnemental du produit mis en œuvre. « Insister sur la durabilité ou la légèreté d'un produit a souvent plus d'impact que le discours sur l'écoconception qui est encore perçu comme la cerise sur le gâteau », souligne Rémi Perrin. De plus, « les innovations produits ne doivent pas fondamentalement changer la méthodologie de pose sinon elles peinent à s'imposer commercialement », ajoute Claire Racapé, directrice développement produits chez Siplast. Un obstacle qui s'ajoute à celui du surcoût qui refroidit plus d'un maître d'œuvre ou maître d'ouvrage mais également des autres réglementations qui, parfois, vont à l'encontre des meilleures volontés écologiques. C'est le cas notamment de la réglementation contre le risque incendie. Les exigences de comportement au feu des matériaux peuvent influer sur la composition des membranes de manière parfois peu compatibles avec le développement durable. Comme le précise Claire Racapé, « tout est alors question de compromis ».

    Qu'il s'agisse des labels HQE, Leed ou Breeam, l'impact environnemental des matériaux mis en œuvre est systématiquement pris en compte. De manière générale, les membranes d'étanchéité sont considérées comme inertes, c'est-à-dire qu'elles ne se décomposent pas et ne produisent aucune autre réaction physique ou chimique qui pourrait, pendant leur cycle de vie, rejeter des substances nocives dans leur environnement.

    Les FDES ont été établies en prenant en compte les impacts environnementaux à toutes les étapes du cycle de vie des produits et systèmes, depuis l'extraction et/ou la fabrication des matières constitutives jusqu'à la fin de vie de l'ouvrage, avec destruction, valorisation ou mise en décharge des matériaux », explique la CSFE. L'unité d'évaluation est l'unité fonctionnelle (UF) qui correspond à 1 m2 de toiture avec membrane d'étanchéité (bitume polymère, étanchéité synthétique fixée mécaniquement…). Les accessoires, les primaires et les relevés d'étanchéité sont également pris en compte. Les évaluations sont effectuées par annuité (NF P 01-010) ou selon la durée de vie typique (DVT) (NF P 01-010 et NF EN 15804+A1) du revêtement. Parmi les critères analysés, on recense la consommation de ressources énergétiques, l'épuisement des ressources naturelles (ADP), la consommation en eau, les déchets solides, le changement climatique, l'acidification atmosphérique, les pollutions de l'air et de l'eau, la destruction de la couche d'ozone stratosphérique et la formation d'ozone photochimique.

    À noter que the European waterproofing association (EWA), qui regroupe les industriels européens de l'étanchéité bitumineuse, a établi des déclarations environnementales de produits (DEP) contenant les informations clés des matériaux et systèmes en la matière.

    Le Centre scientifique ettechnique du bâtiment a créé fin 20l5 un nouveau laboratoire destiné à l'évaluation des performances environnementales des produits de construction et de décoration. « Ce renforcement de l'offre du CSTB s'inscrit dans la dynamique publique qui encourage et encadre l'évaluation environnementale des bâtiments, sur la base de I'Analyse du cycle de vie (ACV) », explique l'organisme. En effet, dans l'objectif de lutter contre les allégations environnementales trompeuses, les pouvoirs publics ont décidé d'encadrer réglementairement toute communication en lien avec la thématique.

    En pratique, depuis le le'janvier 2014, les industriels de la construction commercialisant des produits en affichant leurs performances écologiques sont tenus de réaliser une Déclaration environnementale (DE) de produit, valide cinq ans. Complétée par les données sanitaires, elle devient une Fiche de données environnementales et sanitaires (FDES). Ces documents sont d'ores et déjà fondamentaux pour évaluer la performance environnementale des bâtiments HQE.

    À terme, « ils devraient donc devenir une source de données de première importance pour développer une méthode fiable d'étiquette environnementale des bâtiments. »

    À partir de 2017, DE et FDES devront être vérifiées par un expert indépendant et habilité.

    Grâce a son nouveau laboratoire, le CSTB va ainsi permettre aux acteurs de la construction et de la décoration de s'engager dans cette dynamique. Le centre scientifique propose aussi bien la réalisation que la vérification et la révision des DE et FDES.

    La directive européenne n°2009/125 définit I'écoconception comme « l'intégration des caractéristiques environnementales dans la conception d/un produit en vue d/en améliorer la performance environnementale tout au long de son cycle de vie ». Le terme s'applique aux produits dont les caractéristiques « vertes » vont au-delà des exigences réglementaires. L'industriel doit être en mesure de fournir les éléments nécessaires prouvant ces qualités.