Malgré les risques encourus pour les bâtiments, ses exploitants et les entreprises de construction, le contrat d'entretien des toitures-terrasses a encore du chemin à faire pour entrer dans les mœurs. Il en va pourtant de la durabilité de l'ouvrage.

Le contrat d'entretien des toitures-terrasses peine encore à s'imposer. Il est pourtant fortement recommandé par les normes du secteur et la Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE) qui militent pour sa généralisation depuis plusieurs années. Les NF DTU de la série 43 sont clairs à ce sujet. Ils contiennent des annexes rappelant que l'entretien incombe au maître d'ouvrage ou à son mandataire dès la réception du bâtiment et que « la condition de durabilité ne peut être pleinement satisfaite que si ces ouvrages sont entretenus et que si leur usage est conforme à la destination ».

Malgré les conséquences connues de l'absence de maintenance, le contrat d'entretien est loin d'être systématique. Plusieurs raisons l'expliquent. Premièrement, il n'est pas obligatoire. Deuxièmement, la plupart des maîtres d'ouvrage ne connaissent pas le fonctionnement d'une toiture-terrasse. Ils n'ont pas conscience des sollicitations et des risques auxquels elle est exposée (accumulation de déchets, percements en raison de la maintenance d'équipements techniques…). Troisièmement, les entreprises ne sont pas encouragées à proposer ce contrat à la réception des travaux et peu d'entre elles ont automatisé cette procédure, notamment parce qu'elles ne sont pas toujours structurées pour. Enfin, la garantie décennale ne va pas dans le sens de la responsabilisation des maîtres d'ouvrage face à la maintenance de leur bâtiment. Il est en effet rare qu'ils soient inquiétés en cas de sinistres et l'intérêt d'un tel engagement peut leur paraître limité.

Sur le terrain, la typologie de l'ouvrage et la nature de son propriétaire sont déterminants. Le cas le plus défavorable reste celui des copropriétés.

« Elles ne comprennent pas l'utilité du contrat d'entretien. D'autant plus que la promesse d'une durée de vie de 30 ans des systèmes d'étanchéité n'incite pas à sa souscription », explique Claude Pouey directeur technique de l'Association des responsables de copropriétés (ARC). Et les membres d'une copropriété changent régulièrement et ne veulent pas payer pour leurs successeurs.

À l'inverse, les exploitants de sites industriels ont une sensibilité accrue concernant les opérations de prévention. Il n'est pas envisageable de stopper une chaîne de production pour un défaut d'étanchéité de la toiture. EDF, par exemple, a mis en place un contrôle annuel rigoureux de ses toitures avec un renouvellement régulier de son cahier des charges en fonction des retours de terrain et des typologies de toiture (voir encadré). « Il peut y avoir à l'intérieur de ces bâtiments des machines qu'il faut protéger de tous risques de fuite. De plus, les propriétaires ont souvent de nombreux contrats pour la maintenance d'autres équipements. Ils possèdent déjà une culture de l'entretien », souligne Alain Decorniquet, directeur des grands risques chez Saretec, société de conseil, d'expertise et d'arbitrage.

PRÉVENTION

Mais les maîtres d'ouvrage professionnels n'ont pas encore une approche préventive par rapport à cet ouvrage. Ainsi, pendant 20 ans, le bailleur social 3F n'a pas pris de mesures spécifiques en la matière pour son parc de logements « pour des raisons économiques », explique Jean-Marc Sablé, responsable du service opération Est et rattaché à la direction technique du groupe. Avec des conséquences parfois lourdes : « Les dommages causés par les défauts d'étanchéité tels que les infiltrations peuvent être catastrophiques. » Entre 2013 et 2014, la refonte du cahier des charges relatif aux opérations de rénovation de ses bâtiments a été l'occasion pour le groupe immobilier de repenser l'optimisation des coûts des travaux de réhabilitation. Remontée d'informations, benchmark, analyse de statistiques… : les avis ont convergé vers une valorisation des investissements réguliers pour entretenir le patrimoine et allonger en conséquence la durée de vie de ces ouvrages. Résultat, dès l'année prochaine, un contrat d'entretien sera mis en place, prévoyant un déploiement progressif de visites régulières de professionnels de l'étanchéité sur les 960 000 m² de toiture-terrasse du parc francilien du bailleur social.

COMPÉTENCES TECHNIQUES

Stéphane Kratzeisen, directeur du développement chez Soprema Entreprises confirme : « L'entretien, c'est avant tout de l'anticipation. » Il s'insère dans le cadre d'un raisonnement en coût global d'un ouvrage qui privilégie la prévention du désordre plutôt que la réparation d'un dommage dont on ne peut prédire l'ampleur. De plus, face à l'entretien, le maître d'ouvrage n'est pas le seul responsable. L'étancheur est également concerné. « L'entretien d'une toiture-terrasse ne peut être réalisé que par un étancheur qui, seul, dispose des compétences techniques nécessaires à une maintenance conforme, poursuit le directeur du développement. Le nettoyage ne représente qu'une faible proportion des opérations. Il faut également suivre un processus bien défini de vérifications de l'ensemble des ouvrages d'étanchéité visibles comme les relevés, les bandes de solin… »

Son intérêt est également économique, l'entretien représentant une activité complémentaire et régulière.

GARANTIE ET ASSURANCE

« Un entrepreneur reste lié au maître d'ouvrage même après la fin des travaux, ne serait-ce que par la garantie décennale », ajoute Stéphane Krat-zeisen. Par ailleurs, dans le cadre des marchés publics (art. 40 du CCAG) et souvent en marchés privés, il doit participer à la constitution du Dossier des ouvrages exécutés (DOE) établi par le maître d'œuvre, lequel doit rassembler les prescriptions de maintenance. Il est généralement repris dans le Document d'intervention ultérieure sur l'ouvrage (DIUO) rédigé par le coordonnateur. Ce document rassemble toutes les données de nature à faciliter la prévention des risques professionnels lors d'interventions ultérieures sur le bâtiment, sur la base de plans et notices fournis par les entreprises.

En cas de sinistre, le maître d'ouvrage doit justifier de l'entretien de son ouvrage. L'étancheur, quant à lui, est présumé responsable au regard de la garantie décennale. C'est à lui de démontrer qu'un contrat a été proposé mais refusé. Il pourra alors être dégagé en partie « mais jamais vraiment totalement », nuance Jean-Marc Blondeel, chargé d'étude chez Socabat. En effet, en cas de sinistre, et en l'absence d'entretien, c'est aux constructeurs d'apporter la preuve du lien de causalité entre les deux. « Le défaut d'entretien n'exonère pas forcément les constructeurs de toute responsabilité, précise Alain Decorniquet, encore faut-il que le sinistre y trouve son origine exclusivement ».

INCITATIONS ET TRAÇABILITÉ

Faut-il alors imposer le contrat d'entretien ? Les professionnels de l'étanchéité et de l'assurance y seraient favorables dans l'ensemble. Mais, comme le rappelle Alain Decorniquet : « Les règles techniques n'ont pas pour vocation à imposer des dispositions qui relèvent d'une relation contractuelle. Elles ne peuvent que proposer des dispositions techniques pouvant être reprises soit dans les Documents particuliers du marché (DPM), soit par les entreprises dans le cadre du DIUO ». Par conséquent, mieux vaudrait-il privilégier l'incitation ?

« Il pourrait être utile d'au moins systématiser la transmission des informations voire la proposition de contrat par les entreprises au maître d'ouvrage, suggère André Le Faucheur, expert conseil chez Socabat. En cas de refus, ce dernier devra alors être acté par écrit afin de permettre à l'entreprise de se dégager plus facilement de sa responsabilité en cas de sinistre. » L'organisme Qualibat travaille dans le même sens. Depuis le 6 octobre dernier, il inclut l'exigence de « préciser au maître d'ouvrage les modalités d'entretien » pour obtenir la qualification 3292- Toitures-terrasses spécialisées végétalisées.

Le développement des technologies numériques dans le bâtiment pourrait également accélérer la généralisation du contrat d'entretien. Le carnet numérique du bâtiment, outil informatique destiné à apporter aux usagers d'un bâtiment les informations nécessaires à la bonne utilisation et au bon entretien de l'ouvrage, et le BIM sont prévus pour 2017. « La traçabilité assurée par l'intégration de l'ensemble des caractéristiques produits, de leur mise en œuvre et de leur maintenance permettra un suivi précis de l'état d'un ouvrage », souligne Jean-Marc Blondeel. L'information ne pourra ainsi plus se perdre en cas de changement de propriétaire et les experts en assurance auront le relevé exact de ce qui a été fait… ou pas.

Chez EDF, la gestion et l'entretien des toitures-terrasses sont organisés en interne, via sa filiale FM Services rattachée à la direction de l'immobilier assurance groupe (DIAG). Le siège coordonne la rédaction du cahier des charges pour les marchés d'entretien et de maintenance qui sont ensuite transmis aux huit délégations régionales. Chacune dispose d'un gestionnaire de contrat et de chargés d'affaires qui pilotent les prestations. Elle fournit également une cartographie précise de l'ensemble des équipements dont le groupe est propriétaire avec pour chacun, les surfaces de toitures-terrasses ainsi que leur typologie. Par exemple, « la délégation Île-de-F rance Sud comptabilise 80 000 m2 de toits plats, incluant trois importants centres de R&D (Clamart, Chatou et Renardière). Ces sites industriels sont spécifiques. De grande hauteur, ils intègrent notamment des laboratoires qu'il faut protéger d'éventuels désordres », national au sein de FMS sur les domaines techniques.

« À la fin de la troisième année, le processus d'analyse du cahier des charges est relancé dans le cadre d'une mise à jour, Notre réseau en région nous permet d'améliorer en continu nos exigences et de les adapter en fonction des retours d'expérience. »

« L'engagement qui lie le groupe aux prestataires insiste plus sur l'obligation de résultat que de moyens, C'est l'étancheur qui propose son plan de maintenance en début d'année en fixant notamment le calendrier de ses passages annuels. Nous lui demandons en retour un reporting complet, basé entre autres sur un reportage photo avant / après intervention ainsi que les diagnostics techniques pour engager les actions correctives et les programmes de gros entretien renouvellement (GER). »

GMAO

L'ensemble des informations et des interventions est ensuite recensé dans un outil de Gestion de maintenance assistée par ordinateur (GMAO) pour avoir une vision globale du patrimoine et capitaliser les ressources.

Les NF DTU de la série 43 recommandent la signature d'un contrat d'entretien entre l'entreprise d'étanchéité et le maître d'ouvrage ou ses ayant droit. Ils précisent également quels sont les principaux points de vigilance à contrôler lors des visites annuelles comme par exemple la vérification des relevés, le nettoyage des entrées d'eaux pluviales ou l'enlèvement d'éventuels végétaux. Il sera proposé idéalement dès la réception des travaux ou conjointement à l'envoi de la facture. Son coût se situe autour de quelques centaines d'euros annuels.

La Chambre syndicale française de l'étanchéité met également à disposition de ses adhérents des exemples de contrat type en fonction de la typologie de la toiture (accessible, inaccessible, protection dalles sur plots, végétalisation…). Ils comprennent plusieurs parties décrivant notamment la nature des prestations à réaliser ou à exclure, leur périodicité, les mesures à prendre pour garantir une intervention en toute sécurité, la durée du contrat, les conditions de prix et de paiement.

Chaque visite fait l'objet d'un rapport technique sur les constats et les réparations réalisées.

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