Agriculture urbaine (c) Elise Fargetton
Les États-Unis ont redécouvert l'agriculture urbaine il y a plus de dix ans, comme ici la Brooklyn Grange à New York.
En développement significatif en France, le potager urbain séduit les collectivités locales et rassemble de plus en plus d'acteurs aux profils très divers. Sa vocation est autant économique que sociale.

Derrière l'appellation « agriculture urbaine », ou plutôt « agricultures urbaines », se dessine « un phénomène mondial, complexe et mouvant, aux formes si variées qu'il est compliqué d'en prévoir les évolutions », explique le directeur des Jardins de Gally, Xavier Laureau, dans son ouvrage Les 101 mots de l'agriculture urbaine, paru en juin 2016. Difficile d'en donner une définition globale tant elle recouvre une multiplicité de techniques et d'objectifs. D'autant plus que le phénomène n'est pas nouveau. En 1996, le Plan des Nations Unies pour le développement recensait déjà 800 millions d'agriculteurs urbains, produisant approximativement 15 % des denrées alimentaires mondiales. L'ONU avait alors identifié 40 systèmes d'exploitation agricole allant de l'horticulture à l'aquaculture, en passant par les jardins maraîchers et l'élevage d'animaux. Ces systèmes fourniraient aujourd'hui près de 20 % de la production alimentaire du globe.* Dans certaines villes d'Afrique sont cultivés 80 % des légumes consommés par les habitants.

L'agriculture urbaine est une réalité polymorphe qui s'inscrit aussi dans l'histoire du développement des villes occidentales. Paris, par exemple, comptait 1 378 hectares de cultures vivrières intra-muros en 1845*. Les vertus de ces activités ont été redécouvertes en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Est il y a plus de dix ans. Les mégalopoles surpeuplées confrontées à des difficultés d'approvisionnement parient sur ce potentiel. Elles investissent dans des fermes verticales, des serres en toiture et de l'indoor farming. Les techniques, totalement intégrées au bâti, affichent des objectifs avant tout économiques et productivistes. Les villes européennes se sont lancées plus récemment dans l'aventure avec des objectifs différents. Elles valorisent plutôt les avantages sociaux et pédagogiques des surfaces cultivées. La consommation de produits issus d'une agriculture raisonnée privilégiant les circuits de distribution courts séduit de plus en plus les consommateurs. Mais surtout, comme les toitures végétalisées, « l'agriculture urbaine répond au besoin vital de nature des populations urbaines en y apportant en plus une dimension sensorielle car elles peuvent non seulement voir mais aussi sentir, toucher, goûter le végétal », souligne Xavier Laureau. Elle est également symptomatique d'une nouvelle façon de concevoir une « ville comestible », agréable à vivre, qui crée de la convivialité entre les gens.

Pour être rentable, un potager urbain doit occuper une surface de toiture supérieure à 1 500 m2.

DOUBLE MOUVEMENT

« Nous assistons à un double mouvement : d'un côté le développement de l'agriculture urbaine en lien avec l'engouement pour une alimentation de proximité et le retour de la nature en ville (majoritaire en France). Elle assure sous forme de microfermes urbaines, d'autres fonctions que le maraîchage : événementielles, pédagogiques, écologiques… De l'autre apparaît une agriculture urbaine high tech, connectée, qui valorise la forte productivité sur des petites surfaces. Très présente en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Est, elle commence à se développer sous nos latitudes mais son coût notamment énergétique constitue aujourd'hui un frein majeur à sa généralisation », décrit Christine Aubry, chercheure à l'INRA et professeure consultante à AgroParistech.

« De plus en plus d'acteurs, entreprises et associations, se positionnent sur le secteur et proposent une gamme complète de services : conseil, conception, exploitation, commercialisation et animation. »

UNE PRODUCTION FAIBLE EN FRANCE

En France, ses perspectives de développement sont limitées, comparées à Montréal ou Singapour et il est peu probable qu'un jour elle suffise à nourrir la ville. « Si l'on considère qu'il faut en moyenne 50 m² de maraîchage par personne, il faudrait mettre en culture 11 000 hectares pour assurer l'autosuffisance en fruits et légumes frais de la population parisienne et 5 000 hectares supplémentaires pour les salariés non-résidents, sans compter les 29,3 millions de visiteurs. Cela reviendrait à cultiver 1,5 fois la surface de Paris », écrivait l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) en février dernier dans une note sur l'agriculture urbaine dans la capitale. La forte densité et le manque d'espaces disponibles au sol poussent logiquement à regarder du côté des toits plats. Mais ils ne courent pas non plus les rues : 80 hectares de toitures au fort potentiel de végétalisation** ont été recensés en 2013 par l'Apur. À titre de comparaison, « Bruxelles en compte 600 ha », précise Christine Aubry. À ce jour, 1,7 hectares de toitures et de murs sont cultivés à Paris.

L’engouement pour l’agriculture urbaine a fait émerger un nouveau métier dont les contours restent encore à définir.

NOUVEAUX MÉTIERS

Malgré ce faible potentiel, de plus en plus d'acteurs, entreprises et associations, se positionnent sur le secteur. Topager, La Marmite urbaine, La Recyclerie, Sous les Fraises ou Toit tout vert… proposent une gamme complète de services : conseil, conception, exploitation, commercialisation et animation. De nouveaux métiers sont en train d'émerger. Rassemblant des acteurs issus de secteurs très différents, leurs contours restent encore mal définis (voir encadré). Constitués en association ou en entreprise, « ces acteurs ne sont que rarement des professionnels de l'agriculture. Beaucoup sont issus du monde associatif, des métiers du paysage, de l'animation… », souligne Nicolas Bel, co-fondateur de Topager. La filière commence à s'organiser. 47 structures se sont regroupées depuis la fin 2016 au sein de l'Association française de l'agriculture urbaine professionnelle (AFAUP), « pour faire connaître et reconnaître la profession auprès du grand public et du ministère de l'agriculture », souligne son trésorier Guillaume Morel-Chevillet, auteur d'un ouvrage sur les agriculteurs urbains.

Si la fonction productive constitue une part essentielle des projets, la majorité d'entre eux, réalisés ou à venir, s'apparentent plutôt à un jardin partagé qu'à une exploitation agricole. Les habitants d'un immeuble, d'un quartier, les salariés d'une entreprise, les élèves d'une école se retrouvent autour de projets communs. Les fruits et légumes sont vendus en paniers aux particuliers, aux collaborateurs, au primeur du quartier…

DES INITIATIVES LOCALES

Depuis deux ans particulièrement, le nombre de projets en toiture ne cesse d'augmenter. L'initiative en revient notamment à la Mairie de Paris qui fait du verdissement l'un des axes de revitalisation de la capitale. Son objectif de végétaliser 100 ha de toitures et murs parisiens en réserve un tiers à l'agriculture. Les articles 13.1.1 et 11.2.4 du PLU ont été modifiés dans ce sens. Son programme « les Pariculteurs »*** a connu un franc succès dû notamment au fait que les grands maîtres d'ouvrage publics et privés ont suivi et se sont lancés dans l'aventure. Pour eux aussi, l'opération n'est pas sans intérêt. Les avantages en termes d'image, de valorisation du bâti, de bienfaits pour les salariés ou de qualités environnementales et pédagogiques les incitent à investir. Généralement, lorsque l'exploitation est déléguée à une structure spécialisée, ils cèdent gratuitement (ou presque) et pour une durée déterminée l'exploitation de leur toiture. Ils prennent aussi en charge les travaux d'étanchéité, de mise aux normes et d'accessibilité du site. En échange, ils bénéficient, en totalité ou en partie, de la production alimentaire et des services d'animation et d'entretien qui accompagnent l'activité agricole. Ce sont ainsi 33 projets et 5,5 ha de plantations agricoles en toiture qui devraient voir le jour dans les prochaines années. Les toits de la RATP sur leur site de Lachambeaudie dans le 12e arrondissement, de Poste Immo dans le 18e, des établissements scolaires et sportifs un peu partout dans la capitale et même de l'Opéra Bastille s'équipent déjà de bacs de cultures. Forte de ce succès, la municipalité devrait bientôt lancer « Les Parisculteurs 2 ». « Ces activités génèreront plus de 7 millions d'euros de chiffres d'affaires, environ 250 000 euros de redevance et créeront près de 120 emplois », prévoit la Mairie de Paris. À Marseille, Toulouse ou Lyon, les premières réalisations aussi sortent de terre comme par exemple sur la terrasse du siège de Groupama Rhône-Alpes-Auvergne (voir encadré).

« Derrière les opérations de communication, qui ne manquent pas d'être lancées à chaque création de potager urbain, se cache une autre réalité : il est difficile pour ces entreprises de vivre de leur activité car la demande est encore assez confidentielle. »

CONTRAINTES TECHNIQUES ET ÉCONOMIQUES

Mais, derrière les opérations de communication, qui ne manquent pas d'être lancées à chaque création de potager urbain, se cache une autre réalité : il est difficile pour ces entreprises de vivre de leur activité. La demande est encore assez confidentielle. Bon nombre d'exploitations ne dépassent pas le stade du projet en raison de contraintes techniques et économiques. La vente de la production seule ne rapporte pas assez d'argent. Les surfaces exploitées en toiture sont souvent trop petites. « Sur substrat, on estime que pour que le potager soit rentable, il faut cultiver au moins 1 500 m² », rappelle Pierre Georgel, dirigeant d'Ecovégétal et président de l'Adivet. Or, c'est rarement le cas. D'autant plus que l'installation d'un tel espace demande la mise en place d'autres aménagements pour le stockage du matériel ou la circulation des personnes qui empiète largement sur les zones cultivables. Les activités connexes, pédagogiques ou événementielles, apportent une part de revenus supplémentaires non négligeable mais encore insuffisante pour permettre aux structures de se maintenir sans subvention. Le business model doit encore être affiné. Pour Xavier Laureau, « c'est la multifonctionnalité de l'agriculture urbaine et la diversité des revenus qui fera la stabilité du modèle économique ». De nombreux agriculteurs urbains se lancent aujourd'hui dans cette activité mais les contraintes du marché risquent de ne pas permettre à tous de se faire une place.

UN PHÉNOMÈNE DURABLE

Malgré les difficultés inhérentes au développement de l'activité agricole en ville, la combinaison des ambitions politiques locales, du besoin de nature des citadins et de valorisation des toitures-terrasses permet d'affirmer que l'agriculture urbaine sur les toits n'est pas un phénomène de mode. Même les industriels de l'étanchéité s'y sont mis et proposent aujourd'hui des solutions techniques dédiées. C'est le cas par exemple de Soprema. « Nous avons travaillé trois ans à la conception de notre procédé Cultiva, dédié à l'agriculture urbaine avant son lancement à la fin de l'année 2016 », explique Matthieu Arlot, chef de projet végétalisations innovantes chez Sopranature. En plus de la production alimentaire et d'une meilleure qualité de vie au travail, cultiver la ville participe également à l'amélioration de biodiversité, elle offre un débouché pour le recyclage des déchets (compost) et privilégie les circuits courts. Comme les autres formes de végétalisation en ville, elle participe à la lutte contre les îlots de chaleur urbain et peut jouer un rôle sur la thermique du bâtiment. La toiture potagère présente plus d'un atout même si elle reste un ouvrage techniquement compliqué à mettre en œuvre. L'application de certaines règles de conception est essentielle pour assurer sa pérennité et donc les retours d'expérience positifs.

* Les 101 mots de l'agriculture urbaine, Xavier Loreau, Archibooks, 2016, 151 pages.

** Etude de l'Apur de 2013 sur le potentiel parisien de toitures végétalisables prenant en compte des toitures de plus de 200 m2.

*** www.parisculteurs.paris

Quels statuts pour les agriculteurs urbains ? 

Il n'existe pas de statut d'agriculteur urbain. Néanmoins un cadre se dessine. En 2016, la Direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Île-de-France a publié un « Guide pratique des démarches réglementaires » dédié aux projets d'agriculture urbaine. Le porteur du projet dépose une autorisation d'exploiter auprès des autorités compétentes définies dans les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA). Il réalise également une déclaration de cotisation foncière des entreprises (CFE) auprès de la chambre d'agriculture car il prévoit de vendre ses légumes. Il peut également demander une affiliation à la Mutuelle sociale agricole (MSA) et, s'il répond à certains critères, solliciter des aides financières. Il s'engage enfin à respecter certaines règles d'hygiène et phytosanitaires. Dans la plupart des cas, les structures ont le statut d'association ou d'entreprise commerciale.

                                                                                                                                                                   

Un potager sur le siège de Groupama Rhône-Alpes-Auvergne

L’agriculture urbaine ne se développe pas qu’à Paris. Des potagers sont également prévus ou en cours de réalisation dans les autres grandes villes françaises comme par exemple à Lyon. Depuis quelques mois, 400 m 2 de potager occupent l’une des toitures-terrasses du siège social de Groupama Rhône-Alpes-Auvergne.

« Le projet est né d’une rencontre, raconte Isabelle Lemarre, chargée de mission au département partenariat de l’entreprise. Dans le cadre de la fondation Emergence, dont nous faisons partie et qui soutient de jeunes entreprises ou associations à vocation sociale et solidaire, nous avons rencontré la fondatrice de la Marmite urbaine, spécialisée dans les activités maraîchères en toiture. Son objectif est de cuisiner elle-même une partie de la production dans le cadre de paniers repas et de vendre le reste aux restaurateurs. Son projet nous a séduits. » Les travaux de mise en compatibilité de la toiture (l’étanchéité, les accès et les garde-corps) ont été réalisés à l’occasion de la réfection de l’étanchéité.*

La première phase de culture, débutée il y a un an, est avant tout expérimentale : comment fait-on pour faire pousser des légumes à 30 m au-dessus du sol ? Quelle est la qualité des aliments cultivés ? Peut-on cultiver des plantes anciennes ? En parallèle des animations sont organisées autour du potager. Par exemple, cinq collaborateurs bénévoles viennent chaque semaine entretenir les cultures. Des visites sont régulièrement organisées pour faire connaître le projet. Concrètement, Groupama Rhône-Alpes-Auvergne a mis contractuellement et gratuitement à disposition sa toiture. « Les conditions d’accès sont définies précisément, notamment les identités des personnes habilitées à monter sur le site. Nous leur a v ons aussi donné accès à des locaux en sous-sol pour stocker le matériel et les légumes. »

La deuxième phase de l'exploitation est prévue pour 2018. Mais la Marmite urbaine devra se débrouiller seule financièrement. 1 400 m2 de potager répartis sur quatre toitures devraient progressivement voir le jour… si la petite entreprise a les moyens de les déployer.