La formation est l'un des premiers enjeux du développement du BIM. J. Clapot / Siplast
La formation est l'un des premiers enjeux du développement du BIM.
C’est le choix fait par les pouvoirs publics pour inciter au recours à la maquette numérique collaborative dans les opérations de construction. Une stratégie qui suppose une définition commune à tous les acteurs de la démarche et de ce qu’elle implique. Du chemin reste encore à parcourir.

C’est un fait admis aujourd’hui : la vague numérique déferle sur le secteur du bâtiment et compte bien s’y installer durablement. Le Building Information Modeling, et son acronyme BIM, a ses prix, ses salons, sa littérature, ses éditeurs de logiciel vedettes… A y regarder de plus près, cependant, il apparaît qu’il peine encore à véritablement se généraliser, ou en tous cas il progresse de manière inégale entre les différents acteurs de l’acte de construire. Car s’il dispose de fervents promoteurs, parmi lesquels l’Etat, le BIM reste encore, pour beaucoup, un grand inconnu.

Comment accélérer son développement et permettre à la filière de profiter pleinement de ses avantages en matière d’amélioration de la qualité (de la conception à l’exploitation en passant par la construction) mais aussi de réduction des délais et des coûts ? C’est l’objet notamment du plan BIM 2022 du gouvernement dont l’objectif est la généralisation de l’utilisation du numérique d’ici 2022. Car si jusqu’en 2018 avec le Plan transition numérique du bâtiment (PTNB), le mot d’ordre consistait surtout à sensibiliser et donner envie, il s’agit aujourd’hui de passer à la vitesse supérieure pour faire du BIM un outil du quotidien pour l’ensemble de la chaîne de l’acte de construire. En d’autres termes, il faut passer de la théorie à la pratique, des réalisations d’envergure aux chantiers les plus courants, d’un usage réservé à quelques avant-gardistes à un élargissement à tous les acteurs de la filière. « La question n’est plus de savoir si on se lance dans le BIM, rappelle Michel Droin chef de file BIM de la FFB, mais de savoir quand, comment et avec qui ? »

Inciter plutôt que réglementer

Pour motiver tout le monde et ne laisser personne sur le bord de la route, les pouvoirs publics ont fait le choix, en accord avec les professionnels de la filière, de privilégier l’incitation à la réglementation. « Réglementer trop tôt peut s’avérer contre-productif en créant des disparités entre ceux qui ont investi rapidement et ceux qui n’ont pas pu, explique Benoît Senior secrétaire général d’ADN Construction. Avec le risque à la fois de voir émerger une élite seule apte à répondre à la demande et de peser sur le coût de la construction. » Le pari a donc été fait de miser sur la loi de l’offre et de la demande qui régulera d’elle-même le marché : si le BIM est exigé par la maîtrise d’ouvrage, par effets dominos, l’ensemble de la chaîne suivra, de la maîtrise d’œuvre aux entreprises, en passant par les assureurs et les contrôleurs techniques.

Cette stratégie suppose que les maîtres d’ouvrage jouent pleinement le jeu. Certains ont volontiers et rapidement sauté le pas, à l’image du bailleur social Habitat 76 qui « systématise le BIM depuis plusieurs années » (voir encadré). Pour la plupart néanmoins, le passage à l’acte est plus compliqué. Ainsi, en 2018, d’après une étude publiée par le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), en maîtrise d’ouvrage publique, le taux d’intégration du BIM et de la maquette numérique dans les concours est passé de 0,49 % entre le 1er avril 2013 et le 31 décembre 2014 à 8,10 % entre le 1er avril 2016 et le 20 février 2018 et de 5,39 % à 15,34 % en marché global. Cette proportion semble être un peu supérieure dans les marchés privés. Néanmoins, si ces chiffres sont en croissance nette, on ne peut pas parler encore de généralisation.

Disparités et dispersions

Surtout, derrière ces chiffres se cache une autre réalité : de fortes disparités en matière de perceptions et de définitions du BIM. Dans son enquête, le CNOA note même « une traduction particulièrement hétérogène des notions de BIM et de maquette numérique dans les compétences exigées des candidats et la nature de la mission confiée », rappelant les confusions entre les appellations : gestion de projet BIM, démarche BIM, BIM management production et coordination… Il est même « finalement impossible d’identifier la nature de la mission BIM confiée à la maîtrise d’œuvre », avec des exigences très variables d’un maître d’ouvrage à l’autre, souvent inadaptées aux besoins ou mal formulées. « Certains maîtres d’ouvrage, notamment les propriétaires de parc immobilier, se focalisent sur la connaissance fine de leur patrimoine et leurs besoins en matière de gestion technique et d’exploitation de leur bâtiment, explique Carole Balloué, responsable plateforme BIM à la direction technique de Smac. D’autres, également sensibilisés aux problématiques liées à la coordination technique et de réseau, attachent en plus de l’importance à la phase exécution et l’intègrent plus volontiers à la maquette. Il y a enfin ceux pour qui la maquette numérique sert surtout à faire visiter virtuellement le bâtiment quand elle ne représente pas tout bonnement un jouet sans objectif précis. » Ce qui risque de surcharger à la fois la maquette en informations non pertinentes mais aussi les prestations BIM de l’intervenant (et donc d’en augmenter le coût). « Dans certains cas, la multiplication des données exigées a considérablement alourdi la réalisation de certaines opérations », confirme Benoît Senior. Et Carole Balloué de renchérir : « L’objectif final n’est pas de faire une belle maquette mais de construire un bâtiment de manière efficace et efficiente. »

D’autant plus qu’à ce jour, la majorité des projets exigeant le BIM ne pousse généralement pas la démarche jusqu’au bout et le pratique à son niveau le plus basique (voir encadré). En outre, « le BIM est surtout utilisée pour la phase conception. Il est rare qu’il aboutisse au Dossier des ouvrages exécutés (DOE) numérique », fait remarquer Eric Lainé, directeur de la prescription chez Siplast. Pourtant, ce document devrait constituer l’essence même du BIM pour les maîtres d’ouvrage, son étape ultime. Comme l’explique Fabienne Tiercelin de la SMABTP : « Hébergé sur une plateforme, il devient ainsi accessible à toutes les personnes intervenant a posteriori sur le bâtiment pour l’entretien, la maintenance, en cas de sinistre et ce sur 50 ans… »

Connaissance des besoins

Résultat, dépasser ce « degré de maturité encore faible », cette « phase d’apprentissage incluant son lot d’approximation » (dixit le CNOA), constitue l’un des éléments clés à résoudre pour assurer un développement harmonieux du BIM tel qu’envisagé par les pouvoirs publics. Pour le dire autrement : les maîtres d’ouvrage doivent savoir en amont ce qu’ils attendent du BIM afin de le préciser clairement et contractuellement (voir encadré) aux contributeurs. Il faut « fiabiliser et sécuriser la commande et les contrats BIM », insiste le plan BIM 2022 qui a fait de cette mission l’une de ses priorités (Axe 1, voir encadré).  Pour cela, « le Dossier de consultation des entreprises (DCE) BIM devient une phase cruciale du projet. Nous devons veiller à ce que ses attendus soient partagés et contractualisés par toutes les parties prenantes du chantier, en fonction des objectifs du maître d’ouvrage mais également du degré de maturité de chacun des acteurs », insiste Michel Droin. Ces derniers pourront alors s’équiper d’outils métiers pour enrichir la maquette non seulement en fonction de ces exigences mais aussi des problématiques spécifiques à leur corps d’état.

L’implication des entreprises

Car, effectivement, une fois la demande correctement formulée, encore faut-il que maîtrise d’œuvre et entreprises puissent y répondre. De manière générale, la première (agences d’architecture et bureaux d’études), à qui l’on peut ajouter les majors de la construction, dispose des outils adaptés à leur pratique et est plutôt rompue à la conception assistée par ordinateur. Côté entreprises, en revanche, les niveaux d’appropriation sont d’autant plus variables que les outils métier sont plus rares. Résultat, on peut très bien retrouver de très petites entreprises ayant déjà pris le tournant du numérique tandis que de plus grosses préfèrent encore travailler « à l’ancienne » et inversement. C’est donc pour donner à chacune les moyens de passer à l’acte que le plan BIM 2022 a lancé son axe 2 : « déployer le BIM dans les territoires en soutenant la montée en compétence de tous ses professionnels ». Cela passe à la fois par la mise à disposition de formations adaptées à chacun mais aussi par le développement de solutions métier qui répondent aux problématiques et enjeux propres aux différents corps d’état.

C’est aussi dans cet objectif que les organisations professionnelles se sont mises en ordre de marche pour accompagner leurs adhérents. La FFB par exemple a développé un site Internet (www.ffbim.fr) répondant à de nombreuses questions spécifiques que peuvent se poser les entreprises comme « Comment aborder un appel d’offres BIM ? » ou « comment rédiger une convention BIM » ? La CSFE a, quant à elle, mis en place dès 2015 une commission dédiée. Elle a notamment œuvré à la création d’objets BIM génériques spécifiques à l’étanchéité (voir encadré) et travaille actuellement à la publication d’un guide. Les entreprises peuvent également compter sur leurs industriels (voir encadré), qui comme Knauf, proposent « un accompagnement dédié et sur mesure pour un chantier, dans le cadre d’une convention avec la maîtrise d’œuvre et l’entreprise ».

Un accompagnement rassurant pour les entreprises.  « Les entreprises d’étanchéité, dont le lot se résume trop souvent à un trait dans la maquette, craignent particulièrement de se retrouver reléguées au rang de simples exécutantes au service des toutes puissantes entreprises générales », souligne Xavier Pratlong, président de la commission transition numérique de la CSFE et dirigeant de l’entreprise SETE. Et pourtant, « si elles se dotent des compétences adéquates, il n’y a pas de raison qu’elles se retrouvent exclues. Au contraire, avec un accès à la maquette, elles pourront mieux maîtriser leur études, échanges et interfaces », souligne Michel Droin. Il s’agit aussi de dédramatiser, comme le rappelle Carole Balloué : « Le passage au BIM ne relève pas d’une démarche tellement différente de celle qui nous a amené à réaliser nos plans 2D sur ordinateur ». Reste souvent l’obstacle du prix, estimé à 15 000 euros par poste (achat du matériel + formation). Une acquisition conséquente généralement effectuée à l’occasion d’un chantier spécifique. Occasion qui peut tarder à se reproduire et décale d’autant la rentabilité de l’effort consenti. Ce fut le cas par exemple pour l’entreprise d’étanchéité Sapeb en 2018 sur le projet de réaménagement de Roland Garros à Paris. « Nous avons acheté un ordinateur et la licence du logiciel adaptés et suivi une formation de plusieurs jours, explique son dirigeant Olivier Comperat. Si ces investissements nous ont été utiles pour cette réalisation, un trop grand délai jusqu’aux prochains projets BIM risque de diluer les connaissances acquises. De plus, il est fort probable qu’avec l’évolution des versions des outils, nous devions nous aussi mettre à jour nos pratiques. »

« Il faut aller plus loin dans la réflexion et ne pas  considérer le BIM en termes de coût mais d’investissement qui dépasse la seule réponse à un appel d’offres », insiste Julien Duval, chef de projet BIM pour Soprema. Au-delà de l’outil informatique qui peut effrayer, le BIM représente surtout un gage de transparence et d’amélioration de la qualité qui pourrait aboutir à une revalorisation de notre lot au sein de la maquette mais aussi de manière plus large, du bâtiment.

Le plan BIM 2022

Le plan BIM 2022 a pris le relais du Plan transition numérique du bâtiment (PTNB) en 2019. Doté d’un budget de 10 millions d’euros, il vise à « concrétiser la transformation numérique du bâtiment » en généralisation les recours au BIM dans les opérations de construction. Pour cela, deux axes prioritaires intégrant quatre actions chacun ont été définis :

Généraliser la commande BIM dans l’ensemble de la construction en fiabilisant les pratiques et en sécurisant l’ensemble des acteurs grâce à des définitions claires et équilibrées des attentes et des responsabilités de chacun.

- Action 1 : fiabiliser et sécurité la commande BIM
- Action 2 : simplifier le contrôle et l’autocontrôle du projet
- Action 3 : définir et assurer la prise en compte des besoins de la filière dans les travaux sur les normes BIM, les accélérer et les faire converger
- Actions 4 : observatoire du BIM du secteur du bâtiment

Déployer le BIM dans les territoires en soutenant la montée en compétence de tous ses professionnels et en leur fournissant un écosystème innovant d’outils numériques accessibles pour que partout l’acte de construire soit entièrement numérique.

- Action 5 : développer les outils de montée en compétence accessibles au plus près des territoires
- Action 6 : évaluer sa maturité BIM et la faire reconnaître par tous
- Actions 7 : constituer un écosystème dynamique permettant à l’ensemble des acteurs d’échanger au niveau local
- Action 8 : permettre aux acteurs de collaborer concrètement en BIM avec la plateforme publique Kroqi et son écosystème d’outils simples et adaptés aux professionnels

Les actions 1 à 7 sont portées par ADN Construction tandis que la 8 l’est par le CSTB.  

Témoignages

Le BIM vu par…

Un maître d’œuvre : François Pélegrin, architecte et urbaniste

« J’utilise le BIM systématiquement, même s’il n’est pas demandé. Il représente pour moi un vrai progrès pour la construction. Aujourd’hui, toutes les professions l’ont accepté et ont compris ses atouts en termes d’amélioration de la qualité et de compréhension des projets. Rappelons que chaque année, la non-qualité coûte entre 15 et 20 milliards d’euros. Si certaines malfaçons sont dues à l’incompétence de certains, beaucoup de sinistres ont pour origine un manque de communication entre les parties, des incohérences de conception… Le BIM est une solution car il permet d’identifier les clashs ou les redondances très tôt dans le processus.

Dans la pratique cependant, pour certains maîtres d’ouvrage, le recours au BIM reste une opération  de communication : ils l’exigent mais ne se dotent pas des outils et ne rémunèrent pas le service. Pourtant, la réalisation de la maquette demande au contraire de rééquilibrer les missions de chacun. En effet, le premier à modéliser le projet, c’est l’architecte. Cette tâche représente pour lui une charge de travail supplémentaire qui va ensuite profiter à d’autres. Les bureaux d’étude notamment ne perdent plus des heures à comprendre coupes et plans, ils extraient facilement les données dont ils ont besoin… Il faut donc revoir le séquencement et le poids de chaque phase de conception (esquisse, avant-projet sommaire…) pour donner plus de moyens plus tôt, d’autant que les outils utilisés sont plus complexes

Un maître d’ouvrage : Olivier Legonin, sous-directeur développement et habitat chez le bailleur social Habitat 76

« La dernière décennie a été marquée pour Habitat 76 par une de forte croissance de son parc de logements. Au début de cette même période, nous avons acquis un logiciel de Gestion technique informatisé de patrimoine (GTIP), compatible IFC (Industry Foundation Classes) afin de fiabiliser la connaissance de notre patrimoine. Ainsi avec l’achèvement de la numérisation de l’intégralité des pavillons et immeubles à la fin de l’année 2015, les collaborateurs d’Habitat 76 ont bénéficié d’une base de données graphique et alphanumérique facilement consultable.

Dès lors, il est apparu comme une évidence que l’outil GTIP devait automatiquement être alimenté des résidences neuves. C’est ainsi que dès 2012, la direction opérationnelle de la maîtrise d’ouvrage a expérimenté la réalisation de programmes de construction selon le processus BIM sur deux opérations. Depuis, au fur et à mesure des chantiers, nous avons étoffé notre cahier des charges tant du point de vue des cas d’usage à prendre en compte que dans la définition des rôles des différents acteurs impliqués dans le processus BIM avec le recours systématique à une convention (organisation des intervenants, choix des logiciels…). C’est dans le cadre de cette dynamique qu’en 2017 un poste de BIM Manager a été créé.

Aujourd’hui, tous les plans et les études de conception sont issus de la maquette  numérique qui devient l’unique source d’information du chantier de sorte à obtenir en phase de réception un DOE numérique, comme un double virtuel de la construction. Aujourd’hui l’ambition est d’atteindre le niveau 3 du BIM (voir encadré).

A noter que le déploiement de cette stratégie BIM a été facilité par le recours à des marchés de conception-réalisation, qui permet dès la phase d’agrément d’évaluer le niveau de maturité à l’échelle du groupement, sans que cela constitue un critère disqualifiant. Néanmoins la qualité de la maquette numérique et sa conformité avec notre cahier des charges fait partie intégrante des critères de sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Nous n’avons pas encore réalisé de chantier BIM en lots séparés mais il s’agit là de notre prochain objectif, qui nécessitera une implication totale de la maîtrise d’œuvre dans le processus BIM. »

Un assureur : Fabienne Tiercelin, directrice des relations extérieures et du marketing IARD, déléguée générale de la fondation Excellence SMA

« En tant qu’assureur, nous ne voyons que des intérêts au BIM, notamment lorsque la filière aura atteint le stade du véritable processus collaboratif et numérique pour le chantier. Il nous apportera des réponses en matière d’appropriation et de gestion du risque. Si le maître d’ouvrage nous ouvre l’accès à la maquette, il sera alors facile de retrouver les études techniques et les calculs réalisés par les différents bureaux d’études, les modes constructifs retenus, les fiches produits des fabricants, les plannings, la prise en compte de la sécurité… Grâce à la centralisation de ces informations, l’assureur pourra définir le bon niveau de risque et proposer les solutions les plus justes et au meilleur prix pour assurer le chantier.

D’autant plus que le travail collaboratif entre tous les acteurs permettra la détection plus rapide qu’aujourd’hui des clashs, des points singuliers, des problèmes de planning… Bon nombre de sinistres seront ainsi évités. Avec encore une fois, à la clé, une possible baisse des cotisations.

Dans le cas d’un sinistre après réception, avec l’accès à la maquette l’assureur défendra plus efficacement l’entreprise mise en cause grâce à l’historique de chaque étape de la réalisation de l’ouvrage. A minima, les responsabilités entre entreprises (si évidemment plusieurs sont concernées) seront réparties au plus juste.

Pour en arriver là, l’assureur aussi doit s’adapter. Chez SMABTP nous avons conçu un environnement spécifique notamment pour nos experts travaillant sur le terrain. Ils sont désormais équipés de logiciels permettant de lire la maquette. Nous avons également renforcé nos capacités de stockage numérique.

Reste un bémol cependant : le risque de cyber-attaque. La plateforme hébergeant la maquette, voire même l’entreprise, peut être hackée. C’est ce qui est arrivé récemment à Bouygues construction. Ou encore un intervenant introduit sans le savoir un virus dans le système. Des manipulations malheureuses peuvent également faire disparaître des données difficilement récupérables. On a ici affaire à une nouvelle typologie de risque que nous avons anticipée avec des solutions. »

Une entreprise d’étanchéité : Oliver Comperat, dirigeant de l’entreprise Sapeb

« Nous avons fait l’expérience d’un chantier BIM en 2018 sur le projet de réaménagement de Roland Garros à Paris, en sous-traitance d’une entreprise générale. C’est elle qui a exigé le BIM dans l’objectif de revendre ensuite la maquette au maître d’ouvrage pour ses opérations d’entretien et de maintenance. Nous avons donc investi dans l’équipement informatique et dans la formation.

En phase conception, nous avons eu accès à la maquette partagée dès le stade du gros œuvre. Nous avons donc eu tout de suite le même niveau d’information que l’ensemble des intervenants du chantier. Quand est venu notre tour de compléter la maquette, les objets génériques de la CSFE n’étant pas encore disponibles, nous avons intégré directement les objets du fabricant dans la maquette. Pour le faire correctement, nous avons pu compter sur l’accompagnement de l’entreprise générale qui avait d’ailleurs endossé le rôle de BIM Manager, mais aussi de l’industriel qui a fourni les objets.

Au final, en participant à ce projet, nous avons eu l'opportunité de nous former et de gagner en compétences et en expérience pour l'avenir, en contrepartie d'un investissement en temps et en argent de notre part, pour lequel nous avons reçu un réel soutien de notre client. »

Julien Duval, chef de projets BIM pour Soprema

« Nous mettons gratuitement à la disposition des entreprises des objets BIM spécifiques à nos procédés avec tout un ensemble de propriétés s’y rapportant. Nous leur proposons aussi un accompagnement personnalisé en phase conception ou exécution qui peut se traduire par la réalisation d’un objet sur mesure en accord avec la définition des livrables décrits dans la convention du projet et avec les prescriptions techniques du client.

Il faut néanmoins savoir les utiliser car toutes les données contenues ne sont pas forcément utiles à tous les chantiers. C’est aussi pour cela que la CSFE a participé aux travaux du PTNB d’harmonisation et de standardisation du langage pour ses objets génériques (voir encadré). Grâce à cette démarche, chaque propriété a une définition claire et unique pour tous. Il faut de plus garder à l’esprit qu’une maquette numérique doit conserver un poids d’octets réduit (dimension du fichier). Sans cela, elle devient difficilement exploitable par tous. Il est donc préférable de ne modéliser que le strict nécessaire à la définition du produit ou du système (la géométrie et les données pour sa compréhension, sa maintenance et ses interactions avec les autres objets de la maquette). »

Théo Neveux, en charge du BIM chez Axter

« Depuis le milieu de l’année 2017, nous proposons une bibliothèque d’objets en ligne. Nous leur avons attribué leurs propriétés en fonction de ce qui avait été décidé au sein de la commission transition numérique de la CSFE.

Pour un objet fabricant, la clé, c’est de correspondre le plus possible aux besoins de l’entreprise pour un chantier donné. C’est aussi le choix d’un format accessible au plus grand nombre. Il existe l’IFC mais il entraîne souvent une perte des données au moment de l’intégration dans la maquette. Reste que pour le moment, la maîtrise du BIM reste partielle et les solutions proposées suffisent. Il faut néanmoins rester vigilant pour ne pas rater le coche ».

 Eric Lainé, directeur de la prescription chez Siplast

« Nous avons été les premiers à sortir des objets BIM dès 2015. Aujourd’hui, tous les systèmes courants sont disponibles, soit 200 objets appartenant à 5 familles, le tout dans trois formats différents : Revit, Archicad et IFC. La plupart est téléchargée par la maîtrise d’œuvre. Quelques-uns le sont par les entreprises générales mais vraiment très peu pour ne pas dire pas du tout par les entreprises d’étanchéité. Il faut dire que la maquette numérique est surtout utilisée en phase conception et très peu pour l’exécution. On parle alors plutôt de « faux BIM ».

Antoine Gravey, service technique de Derbigum

« Nous avons réalisé des objets BIM pour tous nos systèmes. Ils sont gratuits et nous les avons accompagnés de tutoriels d’intégration dans la maquette pour les entreprises. A ce jour, ils sont surtout téléchargés par les organismes de formation. La profession est actuellement en phase transitoire avec le lancement récent du plan BIM 2022. D’où un certain attentisme. »

"Les entreprises d'étanchéité doivent s’emparer et s’impliquer dans le BIM pour ne pas se faire déposséder de leur savoir-faire »

Entretien avec Xavier Pratlong, président de la commission transition numérique de la CSFE

En tant que constructeurs d’ouvrages de second œuvre, les entreprises d’étanchéité craignent que le BIM ne les relègue au rôle de simples exécutantes aux ordres des entreprises générales. Elles doivent au contraire le maîtriser pour en faire un atout.

Etanchéité.Info Quelles sont les principales craintes des entreprises d’étanchéité face au BIM ?

Xavier Pratlong Il est fréquent que les procédés d’étanchéité, souvent considérés comme secondaires à l’étape de la conception par les maîtres d’œuvre, ne se résument qu’à un simple trait dans les avant-projets. Ils sont pourtant à la fois essentiels à la pérennité de l’ouvrage, diverses dans leur fonction (isolation, rétention d’eau, biodiversité, production d’énergie) et complexes techniquement. Le risque était qu’avec le BIM, les entreprises se trouvent exclues de la phase conception de la maquette, faute de compétences informatiques. Tout ce qui fait leur valeur ajoutée leur aurait ainsi été ôté : leur connaissance des contraintes techniques, leur capacité de conseil et leur force de proposition pour l’optimisation des ouvrages. C’est pourquoi les entreprises d’étanchéité ont dû s’emparer et s’impliquer le plus tôt possible dans le BIM pour ne pas se faire déposséder de leur savoir-faire notamment par les entreprises générales.

E.I. La sous-traitance de la réalisation de la maquette à des bureaux d’études spécialisés est donc une fausse bonne idée ?  

X.P. En effet, un prestataire extérieur, tout comme l’entreprise générale d’ailleurs, n’est pas spécialiste de nos métiers et n’a pas forcément la bonne vision des priorités à faire apparaître dans la maquette. Je le répète : les entreprises ne doivent pas déléguer ce qui constitue leur valeur ajoutée : leur capacité de conception.

E.I. D’où la création par la CSFE de la commission BIM/ transition numérique…

X.P. Nous nous sommes associés très tôt aux travaux de réglementation et de normalisation autour du BIM pour que la numérisation de nos systèmes nous permette de les intégrer à la maquette numérique dès la phase conception d’un projet, avec toutes ses spécificités.

Nous avons dans un premier temps participé aux travaux du groupe de travail BIM de la FFB avant de créer notre propre commission. Nous avons d’ailleurs été parmi les premiers corps d’état à investir ainsi la problématique. De là, nous avons œuvré au sein des plans gouvernementaux (PPBIM-POBIM) et animé des groupes de travail.

Forts de ces expériences, nous nous sommes rendus à l’évidence : le BIM ne peut être utilisé efficacement par nos adhérents que s’ils ont les outils numériques pour y participer. Donc les aider à prendre le chemin de cette transition numérique s’est imposé comme nouvelle priorité de notre commission. D’où son changement d’appellation en « commission transition numérique » en 2018.

E.I. Quelles actions avez-vous mis en place depuis le lancement de vos travaux ?

X.P. Depuis le départ, nous sommes guidés par l’idée qu’avec le BIM, notre lot ne peut plus se réduire à un trait. Pour cela, dans le cadre de PPBIM-POBIM, nous avons défini le langage, le vocabulaire qui fait notre métier pour qu’il soit diffusé, partagé et compris par tous. Ce lexique est ensuite devenu un dictionnaire. Il nous a permis de lister les modèles génériques et les propriétés qu’il fallait y associer pour qu’ils correspondent à notre réalité de terrain. Nous avons mis en ligne nos premiers objets génériques BIM en décembre 2019. Désormais, l’ouvrage étanchéité dans toute sa complexité sera systématiquement intégré dans la maquette dès la phase conception. Charge à l’étancheur ensuite de sélectionner le procédé de l’industriel de son choix sans s’éloigner des exigences formulées par les concepteurs des projets. Nous serons loin des « copier-coller » où le texte et les dessins laissaient trop de place à l’interprétation. Nos clients identifieront l’étancheur et son travail dès le début des projets.

E.I. Quelles sont les prochaines actions prioritaires ?

X.P. Nous avons identifié deux chantiers principaux : tout d’abord, nous avons constaté, comme je vous le précisais, que les outils ne sont ni universels ni propres à notre métier. C’est pourquoi nous travaillons aujourd’hui à la rédaction d’un ouvrage d’information afin d’aider les entreprises à se préparer à leurs futurs chantiers BIM. Il aura pour ambition de mettre en évidence, de manière synthétique et ludique, les étapes, les contraintes et les besoins de l’étanchéité au regard de la conception numérique. Il pourra à la fois être utilisé en interne au sein de l’entreprise et dans un but d’information des donneurs d’ordres. En effet, il arrive encore trop souvent qu’un chantier soit réalisé en BIM et que pourtant on ne demande pas à l’entreprise d’étanchéité de s’impliquer dans la maquette. Cette dernière est prise en charge parfois par l’entreprise générale, parfois par un BET. Nous ne pouvons laisser prospérer ce mode de travail car cela porte préjudice à nos adhérents et engage probablement la pérennité de nos ouvrages.

Ensuite, la commission transition numérique va travailler à découvrir et défricher les offres des prestataires pour proposer aux adhérents de la CSFE les outils métiers les plus adaptés à la numérisation de nos fonctions, du métré à la livraison, du chantier au SAV. Aujourd’hui, la rareté de l’offre contraint les entreprises à faire des impasses ou à se lancer, après une recherche chronophage, dans des innovations à risque. Nous avons réalisé une première approche à travers un  « mini-forum » sur la gestion technique de chantier. Le prochain présentera les outils de relevés (dimensionnels et qualitatifs). La formation à leur emploi se fera au gré de prises en main par les entreprises.

Des objets BIM génériques "étanchéité" sur la plateforme BIMObject

Les objets BIM génériques « étanchéité » réalisés par la commission transition numérique de la Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE) sont disponibles au téléchargement depuis le mois de décembre 2019 sur la plateforme BIMObject. Ils sont par conséquent accessibles à tous les acteurs de la construction. Sont plus particulièrement concernés : 

- les procédés d'étanchéité pour toitures-terrasses inaccessibles avec éléments porteurs en béton en climat de plaine ;

- les procédés d'étanchéité pour toitures-terrasses techniques avec éléments porteurs en béton en climat de plaine ;

- les procédés d'étanchéité pour toitures-terrasses accessibles aux piétons avec éléments porteurs en béton en climat de plaine ;

- les procédés d'étanchéité pour toitures-terrasses accessibles aux véhicules avec éléments porteurs en béton en climat de plaine ;

- les procédés d'étanchéité pour toitures-terrasses jardins et végétalisées avec éléments porteurs en béton en climat de plaine.

« Jusqu'alors, le complexe "isolation-étanchéité" n'était pas bien représenté dans la maquette numérique alors qu'il représente une part importante dans les performances thermiques, acoustiques et sanitaires des ouvrages. Pour pallier ce manque, nous nous sommes investis dans la création du dictionnaire harmonisé des modèles d'objets génériques avec les propriétés associées. Les objets aujourd'hui disponibles découlent de ces travaux. Leur téléchargement et leur intégration dans la maquette numérique permettra d'avoir une représentation conforme des ouvrages », précise Maël Le Faucheur, ingénieur pour la CSFE et membre la commission. « Nous pourrons proposer aux  entreprises utilisatrices des réunions d’information spécifiques et des accompagnements technologiques si nécessaires, avant que les programmes de formation soient disponibles. Ceux-ci seront adaptés aux besoins spécifiques des étancheurs et de leurs outils numériques », ajoute son président Xavier Pratlong. 

Les différents niveaux de BIM

Il existe trois niveaux de BIM :

- BIM niveau 1 : les acteurs de la construction travaillent avec des fichiers 2D, des maquettes numériques 3D hétérogènes dont l’interopérabilité n’est pas garantie ce qui ne favorise pas le travail collaboratif. Ce sont les pratiques les plus recensées aujourd’hui.

- BIM niveau 2 : il correspond à l’objectif visé en termes d’appropriation et d’usage. Il s’agit d’un BIM collaboratif où chaque acteur de la construction travaille sur sa propre maquette en fonction des outils métiers présents sur le marché avec échanges de fichiers entre ces acteurs dans le cadre d’une interopérabilité entre les différents logiciels.

- BIM niveau 3 : tous les acteurs échangent sur une même plateforme et collaborent autour d’une maquette unique. Il est basé sur l’échange de données et non plus de fichiers. Il représente logiquement l’objectif final mais on n’en est pas là…

La convention : le BIM contractualisé

Une convention est initiée au début d’une opération pour définir les règles du jeu « BIM », à savoir les rôles et devoirs des intervenants. Elle traduit, en fonction des intervenants et de leur maturité BIM, tout au long des phases du projet, les objectifs BIM fixés par le donneur d’ordre. Elle intègre notamment :

- les procédures définissant les besoins et par conséquent les rôles et responsabilités des acteurs (plan de management du BIM),
la méthodologie de travail BIM relative aux échanges d'informations (ex : de quelles données a-t-on besoin ? Pour qui ? A quel moment ? Comment doivent-elles être structurées ? Quels processus de coordination mettre en place ?).
- l'infrastructure BIM, c’est-à-dire la plateforme collaborative, posant les questions d’assurance et de responsabilités, de durée de vie, d’ordre technique et de fonctionnalités, de sécurisation des données, de procédures de collaboration,…

Cette « convention BIM » doit être établie le plus en amont possible et peut évoluer sur l’ensemble du cycle de vie du projet.

Source : FFB