Les étanchéités bitumineuses bénéficient d'une FDES collective.
La prochaine Réglementation environnementale (RE) 2020 introduira des seuils à respecter en matière d’émissions de gaz à effet de serre des bâtiments. L’expérimentation E+C- travaille actuellement à l’élaboration des méthodes de calcul et des niveaux d’exigence. Pour cela, l’analyse porte sur le cycle de vie (ACV) du bâtiment, déterminée notamment à partir de celles des produits et des équipements qui le composent. Ces dernières sont renseignées respectivement dans les Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) et les Profils environnementaux produits (PEP ecopassport) pour les équipements. Hébergées sur la base Inies (www.inies.fr) depuis 2004, elles compilent notamment les quantités de CO2 émises lors de l’approvisionnement en matières premières, du process de fabrication, des transports, de la mise en œuvre, de l’usage et de la fin de vie. Elles prennent en compte également la durée de vie, la contribution du produit à la qualité sanitaire des espaces intérieurs et de l’eau ainsi qu’à la qualité de vie dans le bâtiment.
Différents types de FDES
La réalisation de ces documents répond à la norme NF EN 15804+A1 et son complément national qui remplacent depuis 2014 la norme française NF P01-010. « Comme les FDES sont valables 5 ans, il n’y a pas eu, à l’époque, de réelles mises à jour des FDES n'ayant pas atteint leur limite de validité, explique Sabrina Talon, chef du groupe bâtiment et acoustique au Cerema. Avec le lancement de l’expérimentation E+C- en 2016 puis, en 2017, du programme Obec** de l’Ademe et de l’obligation de vérification des FDES et des PEP par tierce partie indépendante, la base Inies a évolué de manière conséquente. » Dernier chiffre en date : la plateforme comptait, à la fin mai 2019, 1 374 FDES (soit une hausse de 15 % depuis le début de l’année) et 647 PEP (en baisse de 17 % en raison de fins de validité), correspondant à plus de 67 000 références commerciales. La base comportait également 46 données conventionnelles de service (fournies par le ministère en charge de la construction) et 605 Modules de données environnementales génériques par défaut (MDEGD). Ces derniers sont volontairement défavorables pour motiver les industriels à réaliser leurs fiches. C’est par exemple le cas de figure qui s’applique aux produits photovoltaïques mais les choses sont en train de bouger.
FDES collectives
Pour les éviter, certaines filières s’organisent. Les industriels de l’étanchéité notamment ont fait le choix des FDES collectives (portant sur un même produit type fabriqué par plusieurs industriels). La Chambre syndicale de l’étanchéité (CSFE) en a rédigé quatre : systèmes d’étanchéité bitumineux pare-vapeur, systèmes d’étanchéité bitumineux-monocouche et bicouche, membranes d’étanchéité synthétique PVC-P fixées mécaniquement ou lestées. Les systèmes asphalte bénéficient également d'un document. Les systèmes d’étanchéité liquide aussi mais ils ne sont plus à jour. « Les FDES collectives sont intéressantes quand la composition et les process de production des produits concernés ne sont pas radicalement différents », souligne Claire Racapé, directrice du développement chez Siplast-BMI.
Elles permettent aussi de limiter les coûts d’établissement et de relecture des FDES, frein important à leur généralisation. Par conséquent, avec le changement de norme, certains ont préféré attendre la fin du processus de transition. « Nous sommes également dans l’expectative des conclusions de l’expérimentation E+C- », précise Claire Racapé. Même discours chez Derbigum : « Encore beaucoup de choses doivent être mises en place et les demandes ne sont pas encore assez nombreuses », explique José Otero, son directeur technique pour la France.
D’autant que les autres pays européens utilisent, eux, des Environmental Product Declaration (EPD), basées sur la norme EN 15804+A1. Cette dernière autorise les fabricants à faire une ACV soit sur la partie production uniquement (du berceau à la sortie de l’usine), soit sur le cycle de vie complet du produit (du berceau à la tombe). En France, la règlementation impose d’ajouter des informations sanitaires. Ces EPD ne peuvent donc être utilisées ni dans le cadre de l’expérimentation E+C-, ni dans celui de la RE. « Nos sites de production sont installés en Allemagne ou en Suisse et ils fournissent tout le continent. Nous avons donc dans un premier temps privilégié le document le plus communément exigé. Pour le marché français, nous disposons de la FDES collective de la CSFE-CMES pour les membranes en PVC-P. Nous avons lancé le travail pour des fiches individuelles de nos autres produits et systèmes », explique Philippe Domange, directeur marketing ventes directes chez Sika.
D’autres industriels, au contraire, ont fait le pari de la fiche « à la française » dès ses débuts. Les industriels de l’isolation, notamment, ont pris le virage assez tôt. Selon les chiffres de mai 2019 de la base Inies, la filière totaliserait à elle seule 636 FDES sur les 1 374 recensés. « Nous en avons depuis la mise en place du premier référentiel HQE en 2005, explique Eric Henneke, responsable environnement et normalisation européenne chez Knauf SAS. Avec le changement de norme, nous avons tout remis à jour. » Aujourd’hui l’industriel dispose de 119 fiches vérifiées sur Inies, dont 17 pour les isolants supports d’étanchéité. A la fin mai 2019, le lot couverture / étanchéité présentait quant à lui de 74 FDES.
Argument concurrentiel ?
Toutes ces données, par défaut, collectives ou individuelles, seront, quoi qu’il en soit, passées à la moulinette des logiciels destinés à calculer l’impact global du bâtiment. Cela ne risque-t-il pas, au final, de favoriser un produit plutôt qu’un autre ? « Avec la RE 2020, la FDES va certainement devenir un argument concurrentiel, précise Hervé Fellmann, président du Syndicat national des polyuréthanes (SNPU) et directeur général de Soprema. A produit équivalent, le prescripteur choisira celui dont on connaît l’ACV. »
A l’arrivée, il est probable que tout le monde y passe. C’est, en tous cas, le vœu clairement affiché des animateurs de la base Inies qui « encouragent vivement les industriels à réaliser FDES et PEP afin que nous puissions continuer à utiliser leurs produits ». Qu’en sera-t-il alors de la concurrence entre les matériaux ? Les FDES ne risquent-elles pas de favoriser certaines dispositions constructives mieux notées que d’autres ? Les premiers résultats de l’expérimentation E+C- semblent montrer que non. « La méthode ne favorise pas une filière mais fait le bilan objectif du poids des produits et systèmes utilisés dans le bâtiment. Elle valorise ainsi les chaînes de valeur vertueuse, les circuits courts de transport, les usines les plus propres, le recyclage, l’économie circulaire… », précise Julien Hans, directeur énergie-environnement du CSTB. « Il ne faut pas réfléchir qu’en termes de produits mais avoir un raisonnement global sur les performances souhaitées pour l’ouvrage, ajoute Caroline Lestournelle, présidente de la commission environnement de l’Association des Industries de Produits de Construction (AIMCC) et secrétaire générale du FILMM, syndicat national des professionnels de l’isolation en laine minérale. Et donc analyser l’apport du produit en termes de performance du bâtiment par rapport à sa contribution aux impacts environnementaux de ce même bâtiment. »
Certains industriels se sont quand même penchés sur la question comme au sein du SNPU. « Les isolants en polyuréthane sont issus de la chimie carbonée, ce qui constitue, a priori, un inconvénient. Nous avons réalisé une étude pour évaluer un éventuel déclassement. Il n’y en a pas. Leur performance thermique associée à leur poids et leur faible épaisseur compensent leur composition pétrosourcée. A résistance thermique équivalente, l’épaisseur nécessaire de polyuréthane est plus faible que celle des autres matériaux. On pose moins de produit, la structure est allégée… Tout cela joue sur le niveau C global de l’ouvrage », explique Hervé Fellmann. A l’inverse, d’autres ouvrages apparemment beaucoup plus écologiques présentent un bilan carbone défavorable. C’est le cas par exemple des procédés pour toitures-terrasses végétalisées. « Nous avons étudié le projet d'une FDES. Il a montré que les origines des substrats et des végétaux, souvent très variées, ajoutées à l’intégration éventuelle d’éléments plastiques (supports de plantations ou techniques) et à des fins de vie non maîtrisées plombent le bilan carbone. Résultat, un bâtiment sans végétalisation est mieux noté qu’un bâtiment avec végétalisation », déplore Christophe Juif, président de l’Adivet. Or, « la toiture végétalisée, grâce à la photosynthèse, permet de capter le CO2, précise Rémi Perrin, directeur R&D chez Soprema. Mais cette donnée n’est pas intégrée dans les FDES ». Tout comme sont exclus ses avantages en termes de biodiversité, de rétention d’eau, de limitation des îlots de chaleur urbains… Pour surmonter ce paradoxe, l’association a décidé de créer son propre référentiel valorisant les services rendus de ces ouvrages.
Il faut néanmoins garder à l’esprit que dans un bâtiment, ce sont les lots fondation, structure et VRD qui ont le plus d’impact sur le bilan global. Le poids des procédés d’étanchéité des toitures-terrasses compterait, lui, pour environ 3 %, l’isolant en assurant une bonne part. « Cela dépend évidemment de la configuration de l’ouvrage. Sur un bâtiment de faible hauteur et à forte emprise au sol, la toiture pèse logiquement plus que sur une tour de 50 étages », rappelle Jean Passini, président du groupe H2E et de la commission environnement et construction durable à la FFB. « Même si les lots secondaires ont un impact moindre par rapport au gros œuvre, il peut encore être réduit », rappelle José Otéro, responsable technique chez Derbigum.
Cercle vertueux
Ainsi, l’arrivée de la RE 2020 devrait pousser les industriels à apporter des améliorations à leur process de fabrication mais aussi d’approvisionnement, de transport, de conditionnement, de recyclage… « Les FDES devant être révisées tous les cinq ans, les industriels entreront dans une démarche d’amélioration continue de leurs produits. D’autant plus qu’il existe de nombreux leviers », rappelle Caroline Lestournelle. Des travaux sont déjà en cours. « Le recours à davantage de polyols d’origine végétale dans les compositions du polyuréthane est une piste de développement », explique Hervé Fellmann avec sa casquette de directeur général de Soprema. Chez Rockwool, « nous axons nos recherches depuis plusieurs années sur l’amélioration des liants intégrés à la fabrication des isolants en laine de roche », précise Michel Soria, chef de produits supports d'étanchéité et isolants bardages. Knauf SAS a privilégié l’installation d’une nouvelle ligne de production dédiée aux fortes épaisseurs pour une fabrication de série.
Encore des progrès à réaliser
Reste le recyclage, encore à la traîne. les effrots à fournir sont énormes car les filières sont rares. En la matière, les matériaux d’isolation ne s’en sortent pas si mal, à part le polyuréthane pour qui « le travail est en cours ». Soprema vient par exemple de lancer la première unité de recyclage des emballages plastiques PET complexes au monde, qui transformés en polyols peuvent ainsi entrer dans la composition des isolants PU. Pour les membranes, en dehors des feuilles en PVC qui bénéficient du dispositif (encore peu utilisé aujourd’hui) Roofcollect, aucune chaîne de valorisation n’a encore été mise en place. « Les technologies de réutilisation des matériaux restent à trouver, notamment pour les membranes bitumineuses », explique Claire Racapé. La RE 2020 devrait encourager leur développement. « Le recyclage deviendra alors intéressant économiquement, souligne Rémi Perrin, directeur R&D chez Soprema. D’autant plus que nous devons trouver des solutions alternatives aux matières premières. En effet, ce marché est de plus en plus tendu.»
*Le CSCEE est composé de cinq collèges : parlementaires, collectivités territoriales, professionnels, associations et personnalités qualifiées.
**Le programme Obec a été lancé par l’Ademe en 2017 afin de sensibiliser les acteurs au référentiel « Energie carbone », la capitalisation des résultats obtenus et d'alimenter l’observatoire « Bâtiment énergie carbone » en données énergétiques, environnementales et économiques (EEE) de bâtiments.
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Etanchéité.Info L’expérimentation E+C- tend à montrer que pour atteindre un niveau E3 ou E4, la pose de panneaux photovoltaïques s’impose souvent. En revanche, elle impacte négativement le niveau C. Comment résoudre ce paradoxe ?
Jean Damian La filière solaire a fait de gros progrès sur ces sujets. Certains fabricants de panneaux photovoltaïques ont entamé des démarches de « PEP » et nous ne pouvons que nous en féliciter. En effet, elles apporteront de vraies valeurs concernant l’impact carbone de ces produits. Cela permettra de promouvoir l’utilisation du solaire photovoltaïque pour atteindre le niveau « E » souhaité, sans pour autant dégrader le bilan carbone visé.
Nicolas Randria Avec les PEP par défaut, le poids des panneaux équivaut à environ 5 % du bilan global du bâtiment. Si les fournisseurs mettent à disposition les chiffrages réels, cette proportion devrait baisser de 50 %. Associé aux gains énergétiques, les avantages du photovoltaïque intégré au bâti apparaissent alors beaucoup plus évidents.
E.I. Quel rôle peut jouer le GMPV pour accélérer les choses ?
J.D. Nous sommes en train de réaliser une étude en partenariat avec le bureau d’études Pouget Consultants afin d’analyser non seulement l’incidence du photovoltaïque en termes d’énergie et de carbone mais également en intégrant des éléments de rentabilité économique.
N.R. Cette approche économique doit impérativement être prise en compte dans l’évaluation d’un bâtiment. Il faut trouver le juste milieu entre gain énergétique, poids carbone et retour sur investissement. Ces installations ont un coût mais également une vraie rentabilité qu’il faut intégrer dans les calculs pour ne pas dévaloriser le recours au photovoltaïque et aux énergies renouvelables de manière plus générale. On a remarqué, dans le cas pris dans notre étude, que 50 kWc de panneaux (puissance installée) permettaient d’atteindre un Ratio d’énergie renouvelable (RER) de 15 %.
E.I. Quelles conclusions tirez-vous de cette étude à ce jour ?
N.R. Il reste encore des inconnues notamment sur le calcul, l’intégration et la valorisation de l’autoconsommation.
J.D. Nous pouvons dire aujourd’hui que l’installation de panneaux photovoltaïques sur un ouvrage fait progresser le E, qu’elle n’impacte pas tant que ça le C et qu’elle est rentable en moins de 10 ans grâce aux économies réalisées sur les factures ou via un complément de revenus, dans le cas d’une injection de l’électricité produite au réseau. Le tout est de définir le bon pourcentage de couverture de la toiture en fonction de sa forme et du niveau d’ensoleillement. Si la réglementation doit intégrer des valeurs, elles ne doivent pas être trop faibles.
Les entreprises doivent prendre le train en marche
« Les entrepreneurs doivent se préparer aux changements qui ne manqueront pas d’arriver, souligne Jean Passini, président du groupe H2E et de la commission environnement et construction durable à la FFB. Les parts de marché des produits vont certainement évoluer. Les matériaux biosourcés comme le bois, par exemple, pourraient voir leur usage augmenter. Or, le matériau en tant qu’élément porteur de système d’étanchéité est moins connu que le béton et l’acier. Il va falloir apprendre mais il faut laisser le temps pour cela. »
En parallèle, de nouveaux produits pourraient séduire de manière plus conséquente les prescripteurs. « Il est clair que, globalement, les produits intégrant une part de matériaux issus du recyclage ont un impact positif sur le bilan carbone d’un ouvrage », souligne José Otéro, responsable technique chez Derbigum. La RE 2020 pourrait donc ouvrir de nouveaux débouchés à ces solutions qui pâtissent encore souvent de leur surcoût. Charge aux étancheurs de maîtriser leur mise en œuvre.
Enfin, leur devoir de conseil auprès des prescripteurs leur imposera d’être capables de proposer des solutions techniques à même de remplir les critères exigés ou souhaités. « Les entreprises ne vont pas être obligées d’acquérir des compétences en termes de calcul mais elles devront être en mesure de l’expliquer à leurs clients », rappelle Jean Passini.