Techniquement efficaces, les complexes d'étanchéité aujourd'hui ne subissent que peu de défaillances lors d'événements climatiques violents. Ils permettent également de participer à la lutte contre les îlots de chaleur urbains et les inondations.

Au 20e siècle, le thermomètre est déjà monté d'environ 0,6 °C dans le monde et de 1 °C en France européenne par rapport à 1850. Le phénomène s'accélère depuis et les prévisions du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) considèrent que les températures moyennes vont augmenter de 1,5 °C à 6 °C d'ici la fin du siècle. Quant à la barre des 2 °C, considérée par la plupart des climatologues comme un seuil de danger, elle sera sans doute très difficile à ne pas dépasser sans un infléchissement radical de la tendance actuelle. Avec le risque, si rien n'est fait, d'être confronté à une série de changements météorologiques brutaux et catastrophiques.

Déjà, en France, l'hiver 2015-2016 a été le plus chaud depuis 1900. Depuis le début de l'été 2019, les phénomènes de canicule s'enchaînent. Comme partout sur le globe, les conséquences de cette élévation des températures sont envisagées différemment selon les régions. Le sud du pays devrait connaître des épisodes de sécheresse plus nombreux tandis qu'au nord, la pluviométrie augmenterait. Outre-mer, selon le rapport Jouzel de 2014*, « en fin de siècle, les précipitations moyennes et la vitesse moyenne du vent maximal associées aux cyclones tropicaux pourraient augmenter ». De manière générale, « le dérèglement des saisons et le déplacement des masses d'air pourraient, à long terme, accroître le nombre d'événements climatiques extrêmes », avertit l'Ademe dans son guide sur le changement climatique (2015). Plus que le nombre d'aléas climatiques, c'est leur intensité qui pourrait croître.

Les tempêtes Ana, Bruno, Carmen et Eleanor, qui ont balayé le France métropolitaine entre décembre 2017 et janvier 2018 (générant des rafales de vent de 225 km/h en Corse, du jamais vu), les ouragans Irma, José et Maria ravageant les Antilles à l'automne dernier présagent-ils de ces futurs scenarii ? Les experts en climatologie, et notamment le GIEC et les scientifiques de Météo France, restent prudents sur la question. Le lien avec le réchauffement climatique ne doit pas être trop rapide. Les causes de la formation des tempêtes et des cyclones, par exemple, sont plus nombreuses et plus complexes que la seule élévation des températures. Résultat : les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Pour le moment en tous cas.

DES TOITURES TRÈS EXPOSÉES

Reste que les images de poteaux électriques à terre, de toitures envolées et de villes inondées interrogent sur la résistance des aménagements à ces épisodes climatiques extrêmes et sur les solutions disponibles pour l'améliorer. Les bâtiments sont en première ligne. Les toitures, notamment, sont particulièrement exposées à la fois à la chaleur, aux fortes pluies, à la grêle et aux effets de dépression générés par les rafales de vent.

Sur le terrain, les exemples de toitures-terrasses endommagées en raison d'aléas climatiques importants sont peu nombreux, en métropole comme en outre-mer. « C'est un constat très positif , souligne Rémi Perrin, responsable R&D pour le groupe Soprema. Il montre que les dispositions constructives relatives au dimensionnement des toitures, sur élément porteur en béton, en bois ou en bacs acier, ont fait leurs preuves. » Le renforcement des préconisations afin d'adapter la conception des toitures-terrasses à des conditions climatiques plus hostiles n'est donc pas à l'ordre du jour. D'autant plus que « si nous envisageons à la hausse les niveaux d'exigence de chaque poste, l'ampleur de la tâche et le coût seront énormes , rappelle Frédéric Girard, directeur adjoint du fabricant d'étanchéité Sika. Pour autant, l'imprévisibilité d'événements de plus en plus contrastés et localisés mérite qu'on se pose la question. » Le sujet se pose déjà pour les départements et régions d'outremer. Depuis les années 1990, certaines règles de conception et de mise en œuvre ont été adaptées à leurs caractéristiques climatiques. Des Recommandations professionnelles RAGE, actualisant et synthétisant ces préconisations, dispersées dans plusieurs documents différents, sont prévues. « Elles pourraient inspirer d'éventuelles mises à jour des référentiels appliqués aujourd'hui en France européenne », suggère Rémi Perrin.

TESTER LA RÉSISTANCE DES SYSTÈMES

Les industriels ont d'ores et déjà la possibilité de faire tester leurs produits sous conditions climatiques extrêmes. La simulation et l'évaluation de leur comportement aux vents violents, aux pluies diluviennes et à la grêle permettent de vérifier l'efficacité des dispositions constructives existantes et de les adapter le cas échéant. L'établissement du CSTB à Nantes est l'un des principaux laboratoires français d'ingénierie du vent et de la gestion de l'eau à l'échelle du bâtiment et de la parcelle. « Les expérimentations se déroulent à l'intérieur de souffleries climatiques, capables de produire des vitesses de vents de 280 km/h et des pluies dont l'intensité atteint 100 mm/h. Nous disposons également d'un canon à grêle qui projette à grande vitesse des grêlons pouvant atteindre 30 mm de diamètre », précise Philippe Delpech, chef de la division vent, aéraulique, confort de la Direction climatologie aérodynamique pollution et épuration du CSTB.

Parmi les événements climatiques soudains et ravageurs, la grêle fait figure de bête noire pour l'étanchéité. « Elle produit à la fois un choc thermique et mécanique sur le complexe qui peut s'avérer dommageable », précise Frédéric Girard, directeur général adjoint de Sika. On a pu le constater en juin 2014 lorsqu'un épisode de grêle intense a traversé le pays causant de nombreux dommages. « Nous avions alors été fortement sollicités par les industriels pour les aider à justifier le comportement des membranes d'étanchéité face à ce phénomène », rappelle Ismaël Baraud, ingénieur évaluation au sein de la division façades, couvertures et toitures du CSTB. Mais il reste encore mal appréhendé. Contrairement à la Suisse ou l'Autriche qui sont régulièrement soumis aux orages de grêle et ont intégré dans leur réglementation des niveaux élevés de résistance des systèmes, en France, on en est loin. « Il existe une norme d'essai, la NF EN 13583 qui décrit une méthode pour la détermination de la résistance à l'impact simulé de la grêle sur les feuilles et, plus largement, sur les complexes d'étanchéité. Mais l'essai n'est pas obligatoire et aujourd'hui aucune exigence réglementaire n'existe en l'absence de caractérisation de l'impact de la grêle selon les zones géographiques », souligne Lise Boussert, déléguée technique de la Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE). Frédéric Girard rappelle qu'« en France, la profession a pris le parti de travailler avec des membranes plus minces que chez nos voisins européens. Or, il arrive qu'elles atteignent leur limite en cas de forte averse localisée et hors norme de grêlons. La question d'une augmentation des épaisseurs se pose même si elle ne constitue pas le principal facteur de résistance aux chocs des membranes. Cette propriété est en grande partie assurée par les armatures. Leur renforcement est une piste de réflexion ». En outre, comme le souligne Claire Racapé, directrice du développement chez Siplast : « il faut penser le système d'étanchéité dans sa globalité, en intégrant le mode de fixations et la présence de l'isolant dont on analyse la façon dont il absorbe l'énergie ».

« Face à la grêle, il faut penser le système d'étanchéité dans sa globalité, en intégrant le mode de fixations et l'isolant. »

EUROCODES

La détermination de la résistance au vent des procédés est bien mieux encadrée. Depuis le 31 mars 2010, les règles de calcul sont inscrites dans l'Eurocode 1 partie 1-4. Il remplace les règles NV 65** et découpe le territoire français européen et outre-marin en 5 régions climatiques définies en fonction des vitesses de vent recensées (voir carte) . Ce classement, avec la hauteur du bâtiment, sert de base au calcul du dimensionnement des procédés, repris dans les NF DTU et intégré dans les Avis techniques. Pour accompagner les détenteurs de procédés dans la détermination de l'action du vent sur leurs systèmes, le CSTB a édité, en février 2017, le e-cahier n°3779 « Méthode simplifiée pour la détermination de l'action du vent selon l'Eurocode 1 P1-4 : application aux toitures recevant des procédés isolants supports d'étanchéité et des revêtements d'étanchéité sous Avis technique. » « Ces performances sont aussi testées sur des maquettes posées sur des structures d'essai, explique Ismaël Baraud. Elles sont soumises à des niveaux de sollicitations et de criticités conformes à ceux des différentes zones de vent définies dans les Eurocodes. Pour les tests à l'arrachement, par exemple, nous recherchons le point de rupture. Les résultats sont comparés aux exigences normatives et intégrés dans les Avis techniques. Ils définissent le domaine d'emploi du système. » À noter que l'Eurocode 1 a déjà modifié certaines méthodes de calcul par rapport aux règles NV 65 et par conséquent, changé certaines pratiques, comme l'explique Frédéric Girard : « Par exemple, ils imposent un renforcement du nombre de fixations en périphérie et dans les angles, là où la dépression est la plus forte . » Résister aux aléas climatiques c'est bien. Modérer leurs effets, c'est mieux. On ne peut pas grand-chose face aux rafales de vent à part construire des ouvrages plus résistants. En revanche, contre la chaleur et la pluie, la toiture-terrasse peut, avec certains aménagements, constituer une solution pour limiter certaines de leurs conséquences et permettre de vivre dans des conditions d'habitabilité supportables. C'est le cas notamment des îlots de chaleur urbains et les inondations.

LIMITER LES EFFETS DES ÎLOTS DE CHALEUR URBAIN…

Les îlots de chaleur urbains se manifestent par une élévation locale de la température de l'air et des surfaces en secteur urbain par rapport à la périphérie rurale. En cause : l'accumulation de l'énergie solaire dans les surfaces imperméables telles que les matériaux des bâtiments, les routes et les trottoirs. Elles s'échauffent et stockent l'énergie qu'elles ne peuvent pas dissiper rapidement. Par effet d'inertie, cette chaleur est restituée la nuit et empêche alors le rafraîchissement nocturne de l'atmosphère. À Paris par exemple, selon Météo France, la température est en moyenne plus élevée de trois degrés par rapport à la banlieue. L'écart se creuse encore plus l'été, particulièrement lors de pics de chaleur.

En toiture-terrasse, l'échauffement des membranes d'étanchéité bitumineuse peut faire grimper les températures de surface jusqu'à 80 °C. Pour les faire baisser, deux solutions : les membranes réfléchissantes et la végétalisation. Le Cool Roof joue sur la réflectivité et l'émissivité du matériau, souvent de couleur claire. Ces qualités permettent de réfléchir le rayonnement solaire incident sans augmenter significativement la température de surface. Résultat, elle dépasse rarement les 40 °C. Il améliore aussi le confort d'été à l'intérieur des bâtiments. Quant à la végétalisation, elle rafraîchit l'air ambiant grâce à l'évaporation et la transpiration des plantes. Son efficacité dépend de l'épaisseur et du taux d'humidité du substrat.

… ET LES INONDATIONS

Améliorer les performances des toitures-terrasses en matière de rétention d'eau permet de retarder et réduire le renvoi au réseau d'une importante quantité d'eau. L'évacuation des pluies abondantes peut, comme pour la résistance au vent, être envisagée par le calcul avec une augmentation du dimensionnement des évacuations d'eaux pluviales (EEP). Cette solution est déjà imposée outre-mer. Mais l'eau est alors renvoyée rapidement dans un réseau probablement déjà saturé notamment dans les milieux urbanisés et donc imperméables. Le risque de débordement et d'inondation est réel. On l'a encore vu en Île-de-France et en Seine-Maritime en janvier et février derniers. Trois typologies de toitures sont à même de retenir et rejeter progressivement l'eau dans les réseaux : celles avec une protection gravillonnée d'au moins 4 cm (décrites dans le NF DTU 43.1), les procédés dédiés avec plaques structurées en nid d'abeilles associées à un géotextile drainant et les toitures végétalisées (TTV), dont les qualités de rétention dépendent de l'épaisseur du substrat.

Face au changement climatique, la toiture-terrasse est en première ligne. Interface entre le bâtiment et son environnement, elle constitue à la fois un rempart contre les épisodes météorologiques intenses et une solution contre leurs effets. Autant de qualités qui pourraient faire des toits plats des ouvrages difficilement contournables si les scenarii catastrophes se multiplient.

* Le volume 4 du rapport « Le climat de la France au 21e siècle » intitulé « Scénarios régionalisés édition 2014 » présente les scénarios de changement climatique en France jusqu'en 2100. Il a été rédigé dans le cadre d'une mission confiée à Jean Jouzel par le ministère du Développement durable.

**Les règles NV 65 restent classées comme document de référence et peuvent être utilisées dans certains cas mais elles ne sont plus mises à jour.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

Les chiffres clés du réchauffement climatique 

- Dans le monde, la décennie 2001-2010 a été plus chaude de 0,48 °C par rapport à la période 1961-1990. L'année 2016 a été caractérisée par des températures supérieures de 1,1 °C par rapport à la période préindustrielle. Elle se classe au premier rang parmi les années les plus chaudes depuis 1850.

- Le niveau moyen de la mer s'est élevé de 1,7 ± 0,3 mm/an sur la période 1901- 2010. Le taux d'élévation du niveau marin s'est accéléré durant les dernières décennies pour atteindre 3,2 ± 0,4 mm/an sur la période 1993-2010.

- La fonte de la calotte glaciaire du Groenland a doublé depuis les années 1990, avec une perte annuelle moyenne de 250 milliards de tonnes de 2005 à 2009.

Anthropocène : la Terre est-elle entrée dans un nouvel âge géologique ?

Peut-on encore parler de « crise environnementale » pour désigner les grands changements climatiques et écologiques qui bouleversent et altèrent non plus déjà l'environnement mais l'ensemble du « système terre » ? Le concept de « développement durable » est-il réellement à la hauteur des enjeux qui se présentent à l'humanité alors que la communauté scientifique reconnaît que nous sommes face à un événement dont l'importance se mesure à l'échelle des temps géologiques ? Pour tenter de répondre à ces questions, la CSFE a invité le 22 juin prochain, le philosophe Dominique Bourg, professeur à la Faculté des géosciences et de l'environnement de Lausanne, pour une conférence suivie d'un débat lors de son assemblée générale à Toulouse.

Nombre de scientifiques estiment aujourd'hui que continuer à parler de « crise », plus qu'un doux euphémisme, nous plonge dans l'erreur de croire qu'un retour à la normale est possible. Sur les vingt-quatre indicateurs qui permettent de suivre l'évolution de la planète depuis 1750 (population, concentration de CO , consommation d'eau, d'engrais…), des experts du Stockholm Resilience Centre se sont intéressés à neuf d'entre eux -jugés parmi les plus critiques - en fixant des seuils de danger de basculement de la planète vers des états catastrophiques. Pour quatre de ces paramètres, nous aurions approché voire déjà franchi la ligne rouge : cycle du phosphore, de l'azote, émissions de gaz à effet de serre, extinction de la biodiversité.

En 2000, lors d'un colloque du Programme international Géosphère-Biosphère au Mexique, le chimiste néerlandais et prix Nobel, Paul Crutzen, interpelle ses collègues géologues et les invite à ajouter un nouvel âge géologique à leur échelle stratigraphique : l'Anthropocène, littéralement « l'âge de l'Homme ».

Faisant suite à l'Holocène (12 000 ans depuis la dernière glaciation), l'Anthropocène signifie que l'homme en tant qu'espèce est devenu une force d'ampleur tellurique dont l'action a radicalement changé la morphologie, la chimie et la biologie de notre planète. Le concept d'Anthropocène vient souligner que l'époque que nous traversons ne se réduit pas à une simple crise mais marque un point de non-retour, un dérèglement écologique global, une bifurcation géologique comme l'ont écrit Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz*. Reconnaître l'Anthropocène conduit également à interroger le concept de développement durable et son projet d'un compromis négocié entre croissance économique et préservation de la nature. L'une des vertus des nouvelles sciences de la Terre est justement de nous présenter la planète comme un système complexe, fragile, et finalement très imprévisible. De ce point de vue, l'Anthropocène marque une rupture avec la vision d'une nature obéissant à des logiques de causalités linéaires et mécaniques et que l'on pouvait donc contrôler et modifier rationnellement.

* L'Événement Anthropocène, 2013, Éditions du Seuil.

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