Entretien avec Alain Maugard, président de Qualibat. L’association loi 1901 Qualibat est l’un des principaux organismes certificateurs et qualificateurs du secteur du BTP. Son objectif est de promouvoir la fiabilité dans le bâtiment. Elle délivre des qualifications d’entreprises et des certifications métiers. Elle fait partie, avec Qualifelec et Qualit'EnR, des structures habilitées à délivrer la qualification Reconnu Grenelle de l’environnement » (RGE). Alain Maugard en est le président depuis 2009.

Les travaux pour l’évolution du dispositif de qualification des entreprises du bâtiment « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) sont en cours depuis plusieurs mois. En cours d’achèvement, elle aurait dû entrer en vigueur en septembre prochain mais la crise sanitaire a bouleversé quelque peu le calendrier. Pour bien en comprendre les enjeux, retour sur le pourquoi de cette réforme et ses enjeux pour les entreprises.

Etanchéité.Info Pourquoi avoir décidé de réformer la qualification Reconnu garant de l’environnement (RGE) ?

Alain Maugard  Pour bien comprendre les raisons pour lesquelles les pouvoirs publics ont enclenché  cette évolution du label, il faut revenir à ses origines. La qualification RGE (Reconnu Grenelle de l’environnement au départ) découle directement du Grenelle de l’environnement de 2007 qui a fait de l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments existants l’un de ses axes principaux. Lancé en 2011, le label, dont le nom a depuis été modifié en Reconnu garant de l’environnement, s’adresse aux entreprises engagées dans des travaux de rénovation énergétique chez les particuliers. Depuis le 1er septembre 2014, il constitue, pour les ménages, une condition sine qua non pour bénéficier des aides de l’Etat en la matière (ex-CITE devenu aujourd’hui MaPrimRénov, l’éco-PTZ…). Or, ces non-professionnels, contrairement aux maîtrises d’ouvrage publics, aux promoteurs ou aux bailleurs sociaux, peuvent se sentir perdus à la fois sur la nature des travaux à réaliser pour remplir un objectif de réduction des consommations énergétiques de leur logement et sur le choix de l’entreprise. La mise en place de cette reconnaissance offre donc à ces donneurs d’ordre la garantie de faire appel à une entreprise qui, quel que soit son corps d’état, dispose à la fois des compétences professionnelles pour réaliser des travaux de qualité mais également des connaissances globales sur la performance énergétique d’un bâtiment pour assurer un vrai rôle de conseil.

E.I. Pour être qualifiées, les entreprises sont soumises à des audits réguliers. La réforme à venir signifie-t-elle que le dispositif n’a pas fonctionné ?

A.M. Aujourd’hui, il prévoit, pour toute entreprise qualifiée RGE, un contrôle de l’application des Règles de l’art sur une réalisation qu’elle a elle-même soumis, dans les 24 mois suivant l'attribution du label. Il est mené par l'organisme qui lui a délivré sa qualification. Ce système a bien fonctionné jusqu’à l’arrivée des « coups de pouce CEE » et autres « Offres à 1 euro » pour qui, là aussi, une des conditions d’obtention est le recours à une entreprise RGE. Ces dispositifs ont attiré une nouvelle catégorie d’entreprises sur le marché de la rénovation énergétique, que l’on a rapidement surnommés « éco-délinquants ». Ils sont généralement installés en Île-de-France. Ils sont certes qualifiés RGE mais sous-traitent dans toute la France à des entreprises qui, elles, ne le sont pas forcément et sont peu regardantes sur la qualité des travaux effectués. De plus, ils imposent des pratiques commerciales très agressives. Cette situation ne pouvait plus durer à la fois pour les ménages qui subissent un démarchage proche du harcèlement pour au final se retrouver avec des interventions mal réalisées et pour les entreprises honnêtes et compétentes qui font face à une concurrence déloyale.

E.I. D’où la décision de renforcer les contrôles…

A.M. Dans un premier temps, les pouvoirs publics avaient opté pour une multiplication des audits : pourquoi pas en réaliser un ou deux chaque année, proportionnellement au nombre de chantiers réalisés par les entreprises. Mais rapidement, le risque d’usine à gaz s’est profilé. Les contraintes pour les entreprises devenaient énormes. Or, il ne s’agit pas de les punir à cause des éco-délinquants !

Une autre voie a donc finalement été privilégiée : la réception d’un « faisceau d’informations concordantes » contre une entreprise permet à l’organisme certificateur d’opérer plusieurs contrôles inopinés destinés à vérifier la véracité ou non des doutes émis. C’est un vrai changement par rapport à ce que l’on pratique actuellement. En effet, aujourd’hui, il faut qu’une plainte soit déposée pour enclencher une enquête. Or, peu de particuliers portent plainte pour des travaux payés un euro…

E.I. Des résultats ont-ils déjà été obtenus ?

A.M. Oui ! Mêmes si le décret et l’arrêté viennent juste d'être publiés (cliquez ici pour accéder au décret et ici pour accéder à l'arrêté) des opérations de contrôle « nouvelle formule » ont déjà été effectuées et des entreprises prises en faute. Elles se défendent bien sûr mais quand leur malhonnêteté est démontrée, elles perdent leur qualification RGE… et se ferment donc presque tout le marché de la rénovation énergétique des logements privés. C’est une vraie sanction.

E.I. Tous les secteurs de la construction sont-ils concernés par cette éco-délinquance ?

A.M. Non. Il s’agit surtout des corps d’état en lien avec les « coups de pouce CEE » et les « offres à un euro » donc principalement les chauffagistes (installateurs de pompes à chaleur, les chaudières bois, les inserts…) et les professionnels de l’isolation (combles et  planchers bas). Les autres secteurs comme l’étanchéité sont moins touchés.

E.I. Des mesures spécifiques vont-elles être mises en place pour contrôler spécifiquement les acteurs de ces lots ?

A.M. En effet, et il s’agit là d’une autre évolution majeure de l’obtention de la qualification RGE. Six domaines ont été désignés comme « critiques » : les pompes à chaleur, les chauffe-eau thermodynamiques, les chaudières bois, les inserts, l’isolation des combles et l’isolation des planchers bas. Pour eux, le nombre d’audits va être doublé. Certes, c’est une contrainte supplémentaire pour les entreprises de ces secteurs mais il en va de leur intérêt : elles ont des concurrents qui travaillent mal et ces contrôles permettent de les sortir du marché.

E.I. Va-t-il y avoir d’autres évolutions de la qualification RGE ?

A.M. Il y en aura quatre autres. Tout d’abord, les audits. Les entreprises ont aujourd’hui le choix du chantier à contrôler. Evidemment, elles présentent toutes des sites exemplaires. Pour éviter de n’avoir affaire qu’à des chantiers « vitrines » pas forcément le reflet d’un savoir-faire, les chantiers vont désormais être sélectionnés de manière aléatoire.

Ensuite, les résultats de l’audit ne seront plus blancs ou noirs. On aura des niveaux de gris. Si un audit ne passe pas le contrôle mais que l’auditeur considère que l’entreprise est sérieuse et peut s’améliorer, le RGE est certes retiré mais un passage en formation peut amener à ce qu’on lui rende. La montée en compétences sera ainsi privilégiée, valorisée et encouragée.

En outre, le nombre de domaines de qualification va passer de 12 à 19 afin que chacun soit vraiment représentatif d’un métier. Par exemple, les travaux d’isolation de toiture-terrasse font aujourd’hui partie du domaine très large de l’isolation des parois opaques. Avec la réforme de la qualification, ils seront intégrés dans le domaine « isolation des toitures terrasses et Isolation des toitures par l’extérieur ». Cette nouvelle nomenclature leur permettra notamment d’être séparés de l’isolation des combles perdus, bientôt considérée comme un domaine critique.

Enfin, la phase réception de travaux sera musclée. Elle représente en effet un acte important : c’est à ce moment que l’entreprise remet en main l’équipement ou les travaux d’isolation réalisés. Contrairement à un maître d'ouvrage professionnel qui sait quoi vérifier et comment, le particulier, amateur par définition, n’a pas toujours conscience de l’attention à porter à cette étape. C’est pourquoi la réforme prévoit la mise à disposition d’une liste des points à vérifier pour chaque domaine. Il pourra ainsi à la fois réceptionner les travaux correctement mais aussi mieux les comprendre et adopter par la suite un comportement adapté.

Il reste une dernière nouveauté mais il ne s’agit pas là d’une réforme mais d’une expérimentation. L’idée est d’offrir aux TPE et artisans, non titulaires du RGE et sollicités pour des travaux de rénovation énergétique, la possibilité de se faire accompagner par un auditeur en amont et pendant le chantier. Grâce à ce système, le client bénéficiera des aides de l’Etat, même sans qualification de l’entreprise. Ces « travaux accompagnés » vont permettre à ces petites entreprises de répondre à ce type de demandes sans léser le client qui risquerait alors d’aller voir ailleurs. Client qui aura en plus la garantie que les interventions seront bien réalisées. Evidemment, l’artisan prendra les frais de l’audit à sa charge. Si l’occasion se reproduit plusieurs fois, afin de ne pas multiplier les coûts, il se dirigera plus naturellement vers une véritable qualification RGE et montera lui aussi en compétences.

E.I. L’application de cette réforme était prévue pour le 1er septembre prochain. Est-ce toujours d’actualité ?

A.M. Non. Du retard avait déjà été pris mais avec la crise sanitaire et le confinement, les délais ont encore été étendus. La réforme entrera finalement en vigueur au 1er janvier 2021. La date est importante pour les entreprises car il s’agira pour elles de définir le ou les domaines d’application pour lesquels elles souhaitent être qualifiées. En revanche, l’identification des éco-délinquants n’a pas attendu tout ce temps et est effective officiellement depuis la parution des décret et arrêté.

Primes coup de pouce CEE et offres à un euro : qu’est-ce c’est ?

Les Primes coup de pouce prévoient la mise en place, dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), de bonifications de certaines opérations pour lesquelles le demandeur se sera engagé à travers une charte permettant l’octroi de primes significatives par les ménages diminuant ainsi leur reste à charge lors des travaux. Les offres à un euro sont des dispositifs commerciaux et non des aides de l’Etat. Elles s’appuient sur les CEE, sur les Primes coup de pouce et sur l’aide Agilité de l’Anah. Au final, en cumulant plusieurs dispositifs d’aides, des entreprises arrivent à proposer des offres de travaux à seulement 1€.

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