14 organisations professionnelles*, dont la Chambre syndicale française de l'étanchéité (CSFE), ont adressé à la Première ministre une lettre ouverte la pressant de prendre des mesures pour non plus améliorer le confort d'été mais lutter contre "la souffrance thermique", en limitant les recours à la climatisation au profit de la mise en place de solutions de refroidissement passif.

L’objectif : réveiller les consciences des décideurs face à cette problématique, insuffisamment prise en compte dans les politiques publiques, et ce afin d’anticiper des étés à venir de plus en plus chauds, dangereux pour les Hommes et la planète.

Cette lettre ouverte enjoint notamment la Première ministre à ne pas négliger le potentiel de la rénovation énergétique liée au réchauffement des bâtiments, à avoir un recours à la climatisation raisonné et adapté et à associer très rapidement sobriété énergétique et confort des ménages.

Une sobriété énergétique accessible grâce à des mesures passives telles que l’amélioration de l’inertie thermique des bâtiments, la végétalisation des bâtiments ou encore la mise en œuvre de revêtements d’étanchéité réfléchissants sur les toitures-terrasses.

* Groupement Actibaie, Adivet (Association des Toitures et Façades Végétales), AICVF (Association des Ingénieurs et Techniciens en Climatique, Ventilation et Froid), ICO (Ingénierie du Confort Objectif 2050), Cercle Promodul INEF4, Cinoc (Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle du conseil, de l’ingénierie et du numérique), CSFE (Chambre Syndicale Française de l’Etanchéité), Fédération Française de la Construction Passive, IGNES, SFJF (Syndicat Français de Joints et Façades), SNFA, UMB-FFB (Union des Métiers du Bois), UMGCCP (Union des Métiers du Génie Climatique, de la Couverture et de la Plomberie), UMPI-FFB

 

Madame la Première ministre,

La chaleur est tout aussi redoutable que le froid : l’été est devenu synonyme de souffrance thermique pour de nombreux Français. En effet, ils sont 69 % à souffrir des températures trop élevées dans leur logement. Une situation qui ne manquera pas de s’aggraver avec le réchauffement climatique et de s’étendre à des périodes autrefois plus clémentes. Rappelons qu’en 2022, la première canicule a eu lieu au printemps. Or, aucune mesure politique n’est prise aujourd’hui pour limiter durablement, efficacement et sans surconsommation excessive d’énergie la surchauffe des logements. Nous, acteurs de la construction, avons des solutions à apporter en adéquation avec les enjeux climatiques et sociétaux. À vous, acteurs politiques, de vous en saisir pour répondre aux attentes des Français en matière de pouvoir d’achat, d’écologie et de santé publique.

Atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 est un objectif ambitieux et nous ne pouvons que le saluer. D’aucuns diront cependant qu’il est inaccessible au regard des récentes trajectoires de réduction. Or, il s’agit d’une condition sine qua non pour espérer contenir le réchauffement climatique à +1,5 °C, selon le Giec. Malheureusement, l’action climatique de la France est insuffisante. Les experts du Haut Conseil pour le Climat l’ont encore rappelé récemment : la dynamique tricolore reste insuffisante pour tenir les objectifs du Pacte Vert et impose un sursaut de l’action climatique.

Ne négligez pas le potentiel de rénovation énergétique liée au réchauffement des bâtiments
La France doit accélérer sa mutation écologique. Si la lutte contre le réchauffement climatique se joue sur tous les fronts, la décarbonisation du secteur du bâtiment constitue un levier essentiel. Responsable de 17 % des émissions de gaz à effet de serre en France, le bâtiment (résidentiel et tertiaire) est le plus gros consommateur d’énergie. Rénover l’existant se positionne comme une piste indispensable, si tant est qu’elle soit envisagée dans sa globalité. Le sujet du chauffage a en effet tendance à éclipser les enjeux estivaux. Or, la hausse des températures et les vagues de chaleur, qui se font plus régulières et plus extrêmes, contribuent à l’accroissement de l’inconfort thermique et des inégalités sociales. Le confort d’été, expression communément utilisée dans la réglementation thermique, n’apparaît plus adapté à la situation ; il serait plus juste de parler de souffrance thermique, au vu de l’impact sanitaire que les canicules peuvent avoir sur les Français.
Neuf Français sur dix estiment qu’il est capital de trouver des solutions pour réduire le réchauffement de leur habitation. Pour faire baisser la température, les Français ferment les stores et volets (82 %), aèrent les pièces la nuit (77 %), ferment les fenêtres (62 %), utilisent un ventilateur (41 %) et/ou un climatiseur (21 %). Et près d’un Français sur cinq qui n’en dispose pas déjà à l’intention d’investir dans un système de rafraîchissement bien souvent sans avoir recours à un professionnel qui saura l’aiguiller vers des solutions appropriées et efficaces.

Le recours à la climatisation doit être raisonné et adapté
En France, la consommation associée au refroidissement des bâtiments s’élevait en 2020 à 4,9 TWh dans le secteur résidentiel et à 10,6 TWh pour le secteur tertiaire.
Le recours à la climatisation dans les logements a augmenté de 78 % entre 2016 et 2025. Cette technologie est aujourd’hui la source de près de 5 % des émissions d’équivalent CO2 du secteur du bâtiment. Selon le Giec, la hausse de consommation d’énergie liée au refroidissement dans les bâtiments est estimée de 31 à 73 % en Europe du Nord d’ici 2050 et de 165 à 323 % d’ici 2100 par rapport à 1996-20056.
Un recours non raisonné à la climatisation contribue à alimenter un cercle vicieux : plus il fait chaud, plus la climatisation est utilisée, plus les émissions de gaz à effet de serre augmentent, plus il faut chaud, etc. Les systèmes les moins performants – par exemple les équipements mobiles – participent directement au réchauffement des villes. À titre d’exemple, si la chaleur émise par les climatiseurs double d’ici à 2030, la température pourrait augmenter de 2°C dans Paris.

Il est urgent d’associer sobriété énergétique et confort des ménages…
Dans un contexte de tension énergétique et de contraction du pouvoir d’achat, rappelons que l’énergie la moins chère et la moins polluante est celle qu’on ne consomme pas. La sobriété énergétique impose que toutes les pistes soient prises en compte. Si le recours à des systèmes de rafraîchissement actif est un besoin légitime auquel il est important de répondre, celui-ci doit être fait en utilisant des technologies performantes, de manière raisonnée et en combinaison avec les mesures passives, non consommatrices d’énergie, qui permettent d’en limiter l’impact énergétique. La consommation liée au refroidissement en sera ainsi réduite au strict nécessaire. Il est également essentiel de faire appel à un professionnel pour le bon dimensionnement et la bonne installation de l’équipement de rafraîchissement.

La sobriété énergétique est un objectif accessible grâce aux mesures passives
Tout comme une bonne isolation permet de limiter les consommations de chauffage, de nombreuses solutions existent pour réduire la surchauffe des bâtiments de manière durable. Peu ou pas consommateurs en énergie, ces équipements et solutions techniques permettent de réconcilier habitabilité des bâtiments en période de fortes chaleurs et sobriété énergétique lorsque des systèmes de rafraîchissement sont présents.
– Installer des protections solaires motorisées ou automatisées
Limiter la hausse de la température intérieure de 2 °C à 5 °C en été est possible simplement en s’équipant de stores ou volets. Quant au pilotage automatique des protections solaires, il est loin d’être un gadget de confort : il permet une gestion optimale de ces équipements en fonction des températures et du rayonnement solaire, y compris en l’absence d’occupants.
L’utilisation de protections solaires pourrait réduire la consommation d’énergie liée au refroidissement des locaux jusqu’à 60 % d’ici 2050. Elle permettrait d’éviter l’émission de 100 millions de tonnes de CO2 et d’économiser 285 Mds€ en Europe. Un exemple concret avec la ville de Poissy : elle va équiper 15 établissements scolaires de protections solaires. Sur les 6 groupements scolaires déjà rénovés, les résultats sont très encourageants : en période caniculaire, la température intérieure enregistrée est inférieure de 10 °C par rapport à l’extérieur et de 5 °C par rapport à la même salle de classe non équipée de stores. Une installation qui permettra d’économiser environ 300 000 kWh/an, soit l’équivalent d’une facture d’électricité annuelle de 50 000 €.

– Améliorer l’inertie thermique des bâtiments
L’inertie thermique correspond à la capacité des matériaux des murs, toitures et isolants à absorber la chaleur ou le froid, puis à restituer le flux thermique en phase de déphasage. Plus un bâtiment a une inertie élevée, plus il sera confortable en période caniculaire. La température intérieure dans le bâtiment peut ainsi être réduite jusqu’à 3°C.
Par ailleurs, une isolation adaptée de l’enveloppe extérieure du bâtiment contribue également, non seulement à l’efficacité en hiver, mais également à une protection en été.

– Automatiser l’ouverture des fenêtres
Comme les volets et les stores, l’ouverture des ouvrants peut être automatisée afin de rafraîchir son habitation au moment où les températures extérieures sont les plus fraîches, en soirée ou la nuit. Le potentiel de rafraîchissement activable par le pilotage intelligent de l’ouverture des fenêtres en période estivale a ainsi été mesuré entre 4 °C et 5 °C.
D’une manière générale, une attention toute particulière doit être portée à la ventilation du bâtiment afin d’assurer la qualité de l’air intérieur.

– Végétaliser les bâtiments
La végétalisation du bâti, toitures et façades végétalisées, participe doublement à l’adaptation contre le réchauffement climatique. Elle permet d’une part d’apporter de la fraîcheur à l’échelle du quartier grâce à l’évapotranspiration des végétaux qui permet de diminuer jusqu’à 3 °C la température ambiante. Ainsi, sur un toit-terrasse non végétalisé, la température de surface, sous l’effet du rayonnement solaire, peut atteindre 60 °C ou 70 °C.
Elle sera de 35 °C, voire de 32 °C s’il est végétalisé. Pour les façades, le phénomène est équivalent, avec des réductions de température mesurées de 3 à 10 °C. La nuit, la végétalisation du bâti limite les effets d’îlots de chaleur. D’autre part, la végétalisation des toitures et façades permet davantage de confort thermique au sein même du bâtiment, notamment pour les locaux intérieurs sous-jacents.

– Mettre en œuvre de revêtements d’étanchéité réfléchissants sur les toitures-terrasses
Les revêtements d’étanchéité de couleur claire disposent d’un fort pouvoir de réflectivité et d’émissivité. Ils permettent de réfléchir le rayonnement solaire incident sans augmenter significativement la température de surface. Celle-ci dépassant rarement les 40 °C, ces revêtements contribuent à lutter contre les îlots de chaleur urbains et peuvent améliorer le confort thermique dans les lieux de vie sous la toiture.

Valorisez (enfin) les solutions passives peu consommatrices d’énergie dans les politiques d’incitation à la rénovation

Pourquoi ces solutions sont-elles les grandes absentes des politiques publiques françaises de rénovation énergétique ? Pourquoi ne pas étendre les dispositifs de soutien actuellement limités à l’audit et à la réduction de consommation de chauffage ?

Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 30 ans, la France n’a pas le luxe de se priver de leviers efficaces qui sont à sa portée. D’autres pays, comme l’Italie et l’Allemagne, l’ont compris et intègre déjà des dispositifs de soutien pour l’installation de volets et stores par exemple. Des mesures fortes doivent être prises au plus vite pour adapter notre pays aux enjeux climatiques.

Or, une fenêtre de tir idéale se présente devant nous pour que nous nous donnions les moyens de nos ambitions avec l’adoption avant le 1er semestre 2023 de la 1ère loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC), puis avec, l’année suivante, la 3è Programmation pluriannuelle de l’énergie, de la 3è Stratégie nationale bas-carbone et du 3è plan national d’adaptation au changement climatique. Les deux ans à venir vont être décisifs : vous allez dessiner les contours précis de la Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC) et engager notre pays et les générations futures pour les prochaines décennies.

Ces législations doivent être le vecteur d’espoirs et de solutions pour les Français qui souffrent de la surchauffe de leur logement. Nous vous demandons donc d’intégrer au plus vite les moyens passifs d’amélioration de la performance thermique d’été dans les dispositifs d’aides à la rénovation.

L’occasion est historique d’être à la hauteur du plus grand défi de l’histoire de l’Humanité. Ne la ratons pas !