A la tête d'une des grandes agences de France, Denis Bouvier apprécie la simplicité et la durabilité de l'architecture. Il maîtrise aussi bien le langage de l'architecte que celui de l'ingénieur. Une clé essentielle pour la compréhension du bâtiment actuel. 

ETANCHÉITÉ.INFO Une double culture d'architecture et de technique est-elle indispensable pour maîtriser le bâtiment qui devient une machine technologique ?

DENIS BOUVIER Cette question est cruciale pour moi depuis des années. C'est moins un regard d'ingénieur que l'on acquiert à l'Ensais qu'une rigueur de raisonnement, une culture architecturale et une honnêteté intellectuelle. En même temps nous avons une forme de pragmatisme, de simplicité et d'humilité dans le raisonnement. Nous ne sommes pas là pour construire pour nous, mais pour les autres, pour le paysage et pour une certaine durée. C'est ce qui prime avant tout, avec les usages. Le distinguo entre la culture d'ingénieur et celle des Beaux-Arts dans l'architecture française a des raisons. Les grandes évolutions de l'architecture sont en effet souvent portées par des évolutions techniques que les architectes doivent savoir s'approprier en se libérant des codes anciens.

E.I. Où en est-on aujourd'hui, y a-t-il un renouveau ou est-ce du bluff ?

D.B. Il y a une lame de fond poussée par l'urgence environnementale qui peut, dans certains cas, conduire à des excès. Mais il y a des avancées considérables. Les architectes arrivent à lâcher une pensée purement artistique à la Beaux-Arts sur la question des enveloppes et des peaux. Cela au profit d'une approche orientée vers la performance et des systèmes qui produisent de l'énergie, par exemple.

E.I. Est-ce un de vos leitmotivs au sein de l'agence d'architecture Groupe-6 ?

D.B. Il est aujourd'hui évident que l'on ne peut plus construire en niant la question environnementale. Le tout dans une optimisation contemporaine de l'architecture, c'est-à-dire faire plus avec toujours moins d'outils et de moyens. Certains projets bénéficient de moyens illimités et c'est une chance. Mais je serai toujours plus intéressé par une réflexion qui cherchera une économie de moyens. Revoir et retravailler un projet en architecture revient généralement à enlever et à intensifier, sans appauvrir non plus. La simplicité est ce qu'il y a de plus difficile à atteindre. Je suis favorable à une architecture qui se pense dans la durabilité et la pérennité du langage architectural. Il existe une forme d'épuisement du langage architectural. L'originalité est un piège en architecture.

E.I. La place dominante qu'occupe en France une poignée d'entreprises générales n'est-elle pas une menace pour la réflexion architecturale ?

D.B. Ce sont des groupes qui savent évoluer. On peut évidemment regretter leur poids qui les rend inévitables et il est vrai qu'ils peuvent parfois contourner les architectes. Certains architectes artisans peuvent se sentir exclus. Mais l'architecture doit intervenir à tous les niveaux, sur les grands comme les petits projets. Nous n'installons pas le contexte de la commande. Il est plus gênant que l'État se désengage de son rôle de maître d'ouvrage. Il délègue des parts considérables de son travail à ces majors qui logiquement profitent de cette opportunité en disant « on s'occupe de tout ». Je ne suis pas contre les grands groupes, mais pour un bon équilibre. Ça passe par un maître d'ouvrage, un maître d'œuvre et des entreprises solides, dans une relation équilibrée. Un bon maître d'ouvrage est nécessairement quelqu'un d'impliqué.

E.I. Quel regard portez-vous sur les entreprises du bâtiment ?

D.B. On apprend avec elles. Je sais que je peux être crédible vis-à-vis d'elles car j'ai, depuis l'enfance, acquis des réflexes de bon sens en construction. Il est tout aussi important d'être crédible vis-à-vis des ingénieurs, comprendre leur logique. Quand on sort de l'Ensais, on n'est pas ingénieur mais on le comprend. On a le respect de la discipline de l'autre et on est à l'écoute de ses contraintes. Je trouve que les dirigeants actuels des entreprises ont une bonne écoute à l'égard des architectes. Il y a de bons rapports en France entre ingénieurs, entreprises et architectes. C'est un travail de tous les jours et c'est bien par la compétence que l'on installe la confiance, ça ne fait aucun doute. Notre rôle est de savoir être audacieux sans rompre cette confiance.

E.I. Quel projet vous ferait rêver ?

D.B. Une grande agence a besoin de grands projets, quels qu'ils soient, pour vivre. Nous rêvons tous d'une qualité de maîtrise d'ouvrage, car il n'y a pas de bonne architecture ni de bonne commande sans bon maître d'ouvrage. Mais je peux aussi trouver intéressant de sortir de temps en temps de notre architecture fonctionnaliste et contemporaine. Participer à la conception d'un lieu de culte serait formidable ! Les enjeux de la spiritualité sont essentiels, ils sont au centre du débat démocratique. L'architecte peut avoir un rôle à y jouer.