Pour ne pas réduire le bâtiment à un seul objet technique tourné vers la performance énergétique, Franck Boutté a développé le concept de « Territoire à énergie globale positive ». L'ouvrage devient un acteur de son environnement avec lequel il crée des liens et auquel il offre des services.

ÉTANCHÉITÉ.INFO Dans vos travaux, vous émettez des doutes quant à l'approche réglementaire de réduction des consommations énergétiques des bâtiments. Pourquoi ?

FRANCK BOUTTÉ La future RT 2020 et le bâtiment à énergie positive (Bepos) seront par essence centrés sur la performance énergétique. Ils cherchent à atteindre l'idéal d'un bâtiment autonome qui subviendrait à ses propres besoins. Pour équilibrer, voire inverser le rapport entre sa consommation et sa production, l'ouvrage devra par conséquent recourir à des systèmes de compensation ou de production d'énergie. Mais ce postulat, bien que louable, reste de notre point de vue, limité. Tout d'abord parce qu'il ne concerne que les constructions neuves, soit environ 1 % des travaux engagés chaque année. Ensuite, cette quête de super performances a un coût pour, au final, une optimisation parfois décevante. Elle demande des efforts d'autant plus importants que le niveau d'exigences est élevé. Elle peut également avoir des conséquences « collatérales » encore mal appréhendées aujourd'hui. Par exemple, à quoi bon poser des panneaux photovoltaïques quand l'immeuble est mal exposé ? Certes si l'on suit strictement les critères du Bepos, ils peuvent s'intégrer dans les calculs comme un procédé compensatoire mais on pourrait parfois s'en affranchir sans perdre en efficacité. Enfin, il nous semble qu'à chercher toujours plus d'autonomie, on perd de vue les notions d'échange, de partage et finalement de planification urbaine.

L'abus de technologies n'est pas forcément bon non plus pour le bâtiment. Comme le Bepos, le Smart Grid* ne considère pas assez le contexte dans lequel l'ouvrage est amené à évoluer. Enfin, la démarche HQE présente, dans une moindre mesure, le même défaut. Un référentiel ne peut appréhender toutes les problématiques. Une analyse des forces et faiblesses du site devrait permettre de laisser la place à l'interprétation et pourquoi pas, dans certains cas, à des dérogations.

É.I. Votre agence intervient pour des missions de maîtrise d'œuvre et d'assistance à maîtrise d'ouvrage à l'échelle du bâtiment, de la ville ou du territoire. Quelle alternative proposez-vous ?

F.B. L'agence est composée d'ingénieurs, d'architectes et d'urbanistes formés à la maîtrise des ambiances et du confort, et au développement durable. Cette pluridisciplinarité nous permet de développer une approche contextuelle du bâtiment et de son environnement, afin de proposer une solution globale ne se focalisant ni sur l'un, ni sur l'autre. Chaque programme intègre à la fois le territoire et l'ouvrage.

Nous abordons la question de l'énergie en suivant le même principe : en passant de l'énergie blanche (consommée) à l'énergie globale, en prenant en compte l'ensemble des problématiques liées au développement durable. Nous tenons ce discours holistique depuis presque dix ans. Il commence à trouver un certain écho, auprès des institutionnels notamment. Pour preuve, les travaux de l'agence ont été audités par le groupe de travail qui réfléchit à la future RT 2020. Nous espérons qu'ils seront pris en compte.

« Le Tegpos repose sur l'idée qu'il faut changer notre échelle de réflexion et proposer une démarche ultra contextuelle. »

É.I. Vous allez même plus loin en développant le concept de Territoire à énergie globale positive (Tegpos)…

F.B. Il est vrai que le Tegpos cherche à prendre le contre-pied du Bepos. Il repose sur l'idée qu'il faut changer notre échelle de réflexion. En proposant une démarche ultra contextuelle, il est possible d'analyser les forces et les faiblesses d'un macro-lot, en tirer les différents potentiels locaux et définir quelles sont les bonnes solutions en fonction de la configuration du projet. Ce mode de conception se traduit par ce que l'on peut appeler des externalités positives telles que la mutualisation des ressources et la maîtrise des coûts. Le projet est donc envisagé dans un cadre bien plus large que le seul bâtiment qui devient levier d'un système plus vaste.

L'ouvrage est pensé à travers les liens qu'il peut générer. Il développe des synergies avec son territoire afin de trouver les solutions énergétiques les plus intelligentes et les plus efficaces pour tout le monde. Nous entrons alors dans la programmation stratégique, celle de la relation, de l'échange et de la mise en réseau des différentes contributions des terminaux urbains que sont les bâtiments. Ces derniers tiennent une place clé dans leur environnement, à la frontière entre la strate sociale (ou habitée) et les strates écologiques supérieure (le ciel) et inférieure (le sous-sol).

É.I. Quel rôle joue alors le toit ?

F.B. Le toit est une évidente surface captatrice de ressources. Il peut être producteur d'énergie, support de végétation et d'agriculture urbaine, collecteur d'eau… C'est pourquoi, si l'on recherche l'autonomie d'un bâtiment, on l'utilise souvent comme une variable d'ajustement, une surface compensatrice pour répondre aux exigences de la réglementation thermique et de densification urbaine. On lui en demande beaucoup et parfois trop. Avec le risque de lui imposer des usages contradictoires ou même concurrentiels qu'il ne peut intégralement assumer sans aboutir, au final, au choix le plus judicieux. Pourquoi du photovoltaïque plutôt que de la végétalisation ou un espace public ? C'est une question qui mérite une réflexion qui s'attache aux besoins de l'ouvrage mais aussi de son territoire.

É.I. C'est-à-dire ?

F.B. De par sa situation privilégiée au sein du bâti et la multiplicité des possibles en matière d'usages, le toit, mais aussi la façade, peut être appréhendé comme l'interface entre les trois strates évoquées plus haut, entre les usagers et les ressources. Par conséquent, il constitue un objet hybride à la fois écologique et social au sein d'un écosystème complexe. D'autant plus qu'il existe autant de toits que de typologies de bâtiment. Par exemple, sur un immeuble de grande hauteur, il peut devenir lieu de réappropriation du sol. Dans un environnement diffus au sein duquel les bâtiments sont peu élevés, il se fera collecteur de ressources. À partir de là, il est possible d'imaginer des programmations stratégiques des usages du toit dans la ville en fonction des contributions spécifiques de chacun d'eux par rapport à une approche globale à l'échelle du quartier par exemple. Il doit intégrer la notion de services offerts à l'écosystème urbain. Ainsi, la mise en œuvre d'une toiture-terrasse végétalisée ne peut découler que de la seule bonne conscience ou d'obligations émanant des pouvoirs publics. La présence de cette nature en ville doit être pensée en amont en termes de services rendus (biodiversité, rétention d'eau, maîtrise des îlots de chaleur urbain…) Comme je l'ai écrit dans mon article publié dans « Toit urbain, Les défis énergétiques et écosystémiques d'un nouveau territoire », « on passe d'une conception de « toit paysage » à une conception d'interface active, d'épiderme urbain et plus largement d'enveloppe transformatrice, qu'il est nécessaire de caractériser au regard du contexte spécifique du territoire, de la spécificité et de la quantification de ses potentiels et de ses besoins ».

É.I. Comment définissez-vous ce contexte ?

F.B. Il faut analyser le contexte existant, qu'il s'agisse du climat, de l'environnement patrimonial culturel, économique et énergétique mais aussi anticiper autant que possible les temporalités futures en intégrant une vision prospective de la conception. Cette mise en perspective va permettre d'établir une stratégie de développement équilibrée et solidaire du territoire. Le toit pourra alors devenir espace dédié à la biodiversité, à la production alimentaire, lieu public, récupérateur des eaux pluviales…, selon les potentialités de son milieu et des liens qu'il génère.

                                                                                                                                                                    

Deux bâtiments, deux approches

Livré en 2013, le foyer de jeunes travailleurs de la porte des Lilas a été conçu par l'agence d'architecture Chatier Dallix et, en bureau d'études HQE, l'agence Franck Boutté.

Le toit-terrasse est pourvu de deux éoliennes. « Le bâtiment est proche du périphérique et situé en zone de courants d'air. Y installer de tels équipements est donc justifié mais ne peut évidemment pas être décliné partout », explique Franck Boutté.

À Boulogne-Billoncourt, la même équipe est à l'origine d'un groupe scolaire livré en juillet 2014. L'ensemble a ici été pensé comme support de biodiversité décomposé en strates horizontales.