Les potagers installés en toiture-terrasse suscitent toujours beaucoup d’enthousiasme lors de leur inauguration. Comment fonctionnent-ils quelques mois ou quelques années après leur lancement ? Cultures, exploitations, adaptation… Etanchéité.Info vous propose de faire le point sur les modes de fonctionnement et l’efficacité de ce nouveau mode d’agriculture.

De manière générale, les retours montrent que les potagers urbains installés en toiture sont productifs quel que soit leur mode de fonctionnement. Ainsi, sur le toit de l’hôtel Pullman Tour Eiffel, les plantations ont été pensées à la fois pour accueillir la biodiversité et pour alimenter les cuisines de l’hôtel (100 % de la production). C’est toujours le cas actuellement et la carte mentionne expressément les ingrédients cultivés sur la toiture. L’entretien, qui était au départ par l’entreprise de maraîchage Topager, est aujourd’hui réalisé par un Esat pour les activités quotidiennes. L’entreprise conserve l’accompagnement et le suivi agronomique.

Autre exemple au parti-pris complètement différent : le potager des bureaux de la BNP Paribas à Pantin. Cela fait 5 ans que les collaborateurs du site s’en occupent eux-mêmes. « Cela arrive sur la majorité des projets sur lesquels nous avons travaillé. Nous avons passé le témoin et nous ne nous en occupons quasiment plus, au-delà d’une dizaine d’animations par an », précise Frédéric Madre, co-fondateur de Topager.

Reste que l’équilibre économique des projets productifs est encore très incertain et des prestations de service sont pratiquement systématiquement proposées pour pousser vers la rentabilité. C’est le cas par exemple à Paris sur l’Opéra Bastille et l’un des bâtiments de l’hôtel de ville. Nous vous proposons de revenir sur la conception de ces projets emblématiques et de découvrir ce qu’ils sont devenus aujourd’hui.

Sur les toits de l’Opéra Bastille : un modèle économique encore à définir

Depuis l’été 2018, fruits, légumes et plantes aromatiques poussent sur les toits de l’Opéra Bastille à Paris. Il s'agit là du plus grand potager de la capitale. Bilan un an et demi après sa mise en service. 

« A ce jour, il s’agit du plus grand potager de la capitale. Il est destiné à produire mais aussi à développer l’agroécologie et à expérimenter un modèle économique pour l’agriculture urbaine sur une telle surface à Paris », rappelle Frédéric Madre co-fondateur de Topager, maître d’œuvre et exploitant du site. Quatre toitures pour une surface totale de 2 500 m² sont ainsi exploitées, dans l’un des quartiers les plus denses de la ville. « Plus de 1 200 m² sont dédiés aux cultures, le reste étant occupé par des zones de substrat sur lesquelles ont été semées de petites plantes telles que le trèfle blanc nain et le lotier corniculé. Elles ont vocation à la fois à permettre la circulation entre les espaces cultivés, à retenir l’azote et à devenir des refuges de biodiversité pour des espèces auxiliaires : oiseaux, insectes… », poursuit Frédéric Madre.

Trois entreprises, trois expertises

Pour arriver à ce résultat, trois entreprises aux savoir-faire spécifiques ont conjugué leur expertise : la rénovation de l’étanchéité et la mise en conformité de la toiture (sécurisation et accès) sont revenues à Axe Etanchéité. La pose du procédé de végétalisation a été réalisée par Le Prieuré, la conception du potager, l’irrigation et les plantations par Topager, lauréat de l’appel à projets.

« L’étanchéité existante en asphalte avait l’âge de l’Opéra : 30 ans, explique Alain Duthé, dirigeant d’Axe Etanchéité. Les sondages ayant démontré qu’elle pouvait être conservée, nous l’avons simplement renforcée en y rapportant une membrane synthétique anti-racine. » Ces travaux ont été complétés par la pose de garde-corps conformes à la réglementation relative aux toitures accessibles. Des escaliers extérieurs permettant de monter directement sur les toitures ont également été installés. « Ce sont des structures tubulaires, proches de celles des échafaudages. »

Planches de culture

Pour garantir un développement optimal des plantations tout en participant à la rétention des eaux pluviales, le système de végétalisation repose sur des bacs de stockage et de régulation des eaux. « Ils sont mis en œuvre directement sur la membrane d’étanchéité. Ils jouent en plus un rôle de protection du procédé notamment en cours de travaux », souligne Jean- Christophe Grimard, directeur R&D du Prieuré. Une épaisseur de 10 cm de substrat à tendance minérale a ensuite été soufflée sur les toitures de la rue par camion silo. Elle sert à la fois de chemin de circulation et de support aux zones de cultures. En effet, sur 1 000 m² (répartis en quatre terrasses de surfaces variant entre 200 et 800 m²), des planches de culture constituées de cadres en bois de robinier de 80 cm de large sur 8 mètres de long sont positionnées directement sur cette première couche. Elles supportent une épaisseur supplémentaire de 10 cm de substrat, plus organique cette fois, dont 5 cm d’épaisseur de compost. Les végétaux peuvent ensuite être plantés, en fonction de l’exposition de la toiture, de l’espèce… « Il est intéressant également d’associer certains avec d’autres. Par exemple, les carottes éloignent les mouches des poireaux et réciproquement, explique Frédéric Madre. Le basilic est planté sous les pieds de tomates car ils lui fournissent l’ombre dont il a besoin. Lui-même repousse certains ravageurs de tomates. » Un système d’arrosage goutte à goutte irrigue l’ensemble.

Les fruits et légumes cultivés sur le toit de l’Opéra Bastille « ne peuvent pas être labéllisés bio car ils n’ont pas été cultivés en pleine terre mais ils garantissent les mêmes qualités. Ils bénéficient même d’un cahier des charges plus strict et il est difficile de faire mieux en termes de traçabilité. De plus, les mesures effectuées par l’INRA sur plusieurs sites en hauteur confirment qu’ils ne subissent pas la pollution atmosphérique. »

Et aujourd’hui ? 

« Le potager a aujourd’hui un an et demi et il fonctionne très bien. Il assure une production d’environ 50 paniers par semaine distribués à des abonnés qui ont renouvelé leur engagement d’une année sur l’autre. Une partie est également réservée à la vente au détail et aux restaurants du quartier », décrit Frédéric Madre. Topager dispose d’une convention d’occupation de 12 ans renouvelable 8 ans. Plus d’une centaine de variétés de fruits, de légumes, de plantes aromatiques et de fleurs comestibles y est cultivée. « Nous ne sommes pas orientés vers la quantité mais vers la qualité et la diversité : nous travaillons pour des chefs exigeants. »

La toiture n’étant pas considérée comme accessible, sont autorisées à monter les personnes y exerçant une activité. C’est pour cela qu’une association a été créée en octobre dernier et que seuls ses membres (à raison de quatre à cinq personnes bénévoles à chaque fois), accompagnés d’un professionnel de Topager, peuvent accéder à la toiture pour effectuer les récoltes. Celles-ci ont lieu tous les mardis matin pour être vendues le midi. Le jeudi, nouvelle production, de fleurs comestibles et plantes aromatiques surtout, mais cette fois pour les restaurateurs.

Le statut associatif permet également à Topager d’organiser des ateliers, des visites. En effet, « la vente des paniers de suffit pas à rémunérer les salariés ». Le modèle économique reste encore à affiner « mais l'agrotourisme peut contribuer à l'équilibre d'une exploitation, à la ville comme à la campagne ».

Potager de l’hôtel de ville de Paris : une phase d’expérimentation encore en cours

Sur le toit de 800 m² d’un bâtiment municipal des années 1970 à Paris, la mairie, Urbagri, concepteur de potager urbain, Siplast, industriel de l’étanchéité, Nidaplast, spécialisé dans les systèmes de rétention d’eau et le groupe Loiseleur, entreprise d’aménagement d’espaces extérieurs, ont travaillé ensemble à la réalisation d’un jardin comestible posé sur une réserve d’eau.

« Sur toute la surface de la toiture, un système de récupération et de stockage des eaux pluviales permet ainsi d’éviter leur restitution au réseau. Elles sont utilisées pour l’irrigation des végétaux via des nappes textiles à forte capillarité », explique le groupement. L’objectif du projet est d’évaluer l’autonomie du système sur le moyen terme, le complément d’eau supplémentaire nécessaire, la qualité des substrats et les polluants éventuels retrouvés dans les produits.

A l’origine, la terrasse n’était pas accessible. Pour modifier sa destination, il fallait d’abord vérifier la compatibilité de la structure avec l’apport de charges induites par le projet. Le complexe d’étanchéité devait également être adapté à la fois à la circulation de personnes et à la culture des végétaux. L’étude technique a prescrit la pose d’une feuille en bitume SBS traitée anti-racine mise en œuvre sur l’étanchéité existante. Le nombre maximum de personnes autorisées à se tenir en même temps sur le toit est limité.

La lame d’eau de 100 mm d’épaisseur est installée directement sous le potager. Elle est obtenue grâce à une structure en nid d’abeille (Nidaroof) associée à un géotextile (Geoflow 44-1F) pour éviter que le substrat ne pénètre les alvéoles. « Elles offrent un indice de vide de 95 % permettant de stocker les eaux pluviales tout en assurant une haute résistance à la compression », précise le fabricant. Un système d’irrigation raisonnée complète l’ensemble, chaque ligne de culture étant gérée en fonction de ses besoins.

Permaculture

Deux types de substrat sont également testés : la configuration « en lasagne » (couches successives de différents composants tels que le bois broyé ou le mélange terre végétale / compost) et « en mélange » qui mixe béton concassé, sable, brique, terre végétale, marc de raisin et compost. Enfin, « des associations de culture ont été réalisées pour permettre une meilleure préparation des végétaux aux différentes attaques (nuisibles, maladies) qui pourraient intervenir tout au long de leur cycle de croissance, explique Virginie Dulucq, fondatrice d’Urbagri. Le protocole d’expérimentation va également permettre le suivi de rotation des cultures : tomates, concombres, radis, courgettes… »

Et aujourd’hui ? 

Depuis trois ans que le potager est en place, Urbagri a toujours en charge son exploitation. Deux fois par semaine, deux maraîchers viennent désherber, récolter, s’occuper du compost… « Des activités classiques d’entretien de surface de cultures », rappelle Virginie Dulucq. Des ateliers, des visites… sont également organisées. La production, dont les quantités ne nous ont pas été communiquées, sont distribuées aux personnes participantes.

Les trois dernières années ont permis de tester différentes configurations de culture. « Les deux premières années, nous avons travaillé par association de plantes sur les principes de la permaculture, d’abord au mètre carré puis par rang. Cette année, nous n’avons pas semé mais laissé le jardin se recréer par lui-même. Résultat, les mêmes plantes ont repoussé. »

La vigne, elle, semble parfaitement s’épanouir. Elle est associée à des plantes et des fleurs qui la protègent des diverses agressions auxquelles elle pourrait être confrontée. « Là encore, nous appliquons le principe de la permaculture. »

Qu’en est-il de la nappe phréatique artificielle ? « Nous n’y avons jamais touché, elle fonctionne très bien comme cela. »