Le secteur de la construction connaît une actualité forte depuis quelques mois. Nouvelle réglementation environnementale, plan de rénovation énergétique des bâtiments, permis d'expérimenter… Toute la filière va être impactée par ces mesures, qu'il s'agisse des maîtres d'ouvrage, des maîtres d'œuvre ou des entreprises. Pour Étanchéité. Info, Emmanuel Acchiardi fait le point sur ces différentes évolutions.

ETANCHÉITÉ.INFO La RT 2012 se concentrait sur les performances énergétiques des bâtiments neufs. À la suite de l'expérimentation E+C-, actuellement en cours, les exigences de la future réglementation toucheront également les émissions de carbone. Pourquoi vouloir élargir son spectre ?

EMMANUEL ACCHIARDI La RT 2012 et la généralisation des bâtiments basse consommation (BBC) ont déjà constitué un vrai progrès en termes de réduction des consommations d'énergie. Dans la continuité de l'accord de Paris sur le climat de décembre 2015, le gouvernement a présenté dès le mois de juillet 2017 son plan Climat qui vise la neutralité carbone en 2050. En tant que contributeur important aux émissions de gaz à effet de serre (GES), le bâtiment doit participer pleinement à l'effort collectif. C'est bien entendu l'esprit du plan de rénovation sur lequel nous reviendrons plus tard, mais aussi de cette expérimentation E+C- qui concerne le bâtiment performant de demain.

Les pouvoirs publics, en collaboration avec les acteurs du secteur, ont choisi d'élargir la performance des ouvrages neufs aux questions environnementales. Ils ont élaboré un nouveau référentiel encore plus exigeant sur les questions énergétiques et qui intègre un volet « carbone ». Cette nouvelle réglementation environnementale (RE) permettra de généraliser à la fois les bâtiments à énergie positive et à faible empreinte carbone.

E.I. L'expérimentation est une première dans le secteur. Pourquoi avoir choisi cette méthode ?

E.A. La réduction des émissions de GES est une ambition nouvelle pour la filière qui ne dispose d'aucun indicateur de référence et de retours d'expérience encore peu nombreux. L'expérimentation E+C- va nous permettre de définir des niveaux à respecter réalistes et cohérents en fonction des objectifs envisagés. Le Conseil supérieur de la Construction et de l'Efficacité énergétique (CSCEE), qui rassemble tous les acteurs concernés, copilote avec nous cette expérimentation. C'est avec les professionnels que nous en tirerons les enseignements, tant au plan de la faisabilité technique que de la soutenabilité : cette étape est indispensable pour généraliser lors de l'entrée en vigueur de la future RE.

E.I. L'expérimentation a débuté il y a un an. Peut-on en tirer un premier bilan ?

E.A. Au 1er mai 2018, 135 bâtiments représentant 700 logements sont d'ores et déjà évalués. 400 autres sont en cours d'évaluation. La maison individuelle est bien représentée, alors que les ouvrages tertiaires sont pratiquement absents du panel. Le logement collectif sera bien représenté dans l'observatoire suite à l'appel à projets lancé à l'intention des bailleurs sociaux, avec 20M€ d'aide à la clé. Nous espérons une diversification de l'échantillon d'ici la fin de l'année afin d'avoir une vision représentative du marché. Pour cela, nous souhaitons mobiliser plus de maîtres d'ouvrage pour faire entrer leurs bâtiments dans le processus. Nous avons besoin de davantage de retours d'expérience.

Pour le moment, les ouvrages étudiés sont majoritairement classés E2-C1. Quelques-uns vont au-delà du niveau E2, sachant que ses exigences sont encore assez proches de celles de la RT 2012. E3 et E4, bien plus exigeants, sont rarement attribués. Quant au niveau C2, il apparaît difficile à atteindre.

E.I. C'est pourquoi le secrétaire d'État à la cohésion des territoires Julien Denormandie a annoncé le 8 mars dernier que certains ajustements du E+C-allaient être appliqués. Quels sont-ils ?

E.A. Des acteurs ont pu remonter la difficulté de satisfaire les exigences sur les deux niveaux. En fonction des matériaux et des équipements sélectionnés, le E peut être très bon mais en ayant recours à des produits dont l'empreinte environnementale est pénalisante pour le C. Ce qu'a d'abord rappelé Julien Denormandie, c'est que les dispositions actuelles de l'expérimentation doivent être préservées. Mais il convient d'éviter aux maîtres d'ouvrage et aux maîtres d'œuvre de se retrouver dans des situations insolubles, de les démotiver pour rentrer dans l'expérimentation ou de freiner leur capacité d'innovation. Le comité de pilotage de l'expérimentation E+C- a donc décidé d'établir un socle d'exigences minimum à respecter en combinant les deux critères puis de gagner des points supplémentaires sur l'un ou sur l'autre. Maîtres d'ouvrage et maîtres d'œuvre auront donc le choix de prioriser telle ou telle performance et d'innover. C'est la volonté du gouvernement que de fixer un objectif et de laisser les maîtres d'ouvrage libres de choisir le moyen pour l'atteindre.

« Le code de la construction va être réécrit afin de permettre aux maîtres d'ouvrage d'avoir recours à de solutions variées pour aboutir au même résultat.»

E.I. Connaît-on à ce jour les niveaux de ce socle et la manière dont les bâtiments peuvent gagner des points ?

E.A. Pour le moment, rien n'est défini. Le comité de pilotage E+C- travaille dessus. Il réfléchit également à intégrer un niveau intermédiaire entre C1 et C2 car il importe de valoriser les efforts des concepteurs. Un rééquilibrage entre E2 et E3, est aussi à l'étude : E2 reste accessible car proche de la RT actuelle, E3 est clairement plus exigeant.

E.I. La perspective d'une parution de la réglementation environnementale en 2020 est-elle toujours d'actualité ?

E.A. Oui, le calendrier ne sera pas impacté par ces ajustements. Les textes seront rédigés courant 2019 pour une publication en 2020.

E.I. La future RE concerne les bâtiments neufs. Le gouvernement a présenté fin avril sa feuille de route pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments existants. Y avez-vous participé ?

E.A. La DHUP a organisé la consultation qui, après 3 mois, a conduit à préciser et améliorer ce plan et la quinzaine d'actions qu'il contient (voir encadré). Tous les types de bâtiments sont concernés, qu'ils soient publics ou privés, résidentiels ou tertiaires.

E.I. En sait-on plus sur la transformation du CITE en prime inscrite dans cette feuille de route ?

E.A. Le CITE est relativement bien connu du grand public et facile à utiliser. En revanche, il ne cible pas assez les ménages les plus précaires. La prime, prévue pour le remplacer en 2019, doit améliorer la situation sur ce point. De nombreux arbitrages restent encore à faire pour fixer les modalités de versement et les montants versés. Ceux-ci seront fonction de la performance énergétique des travaux engagés.

L'objectif du dispositif est de faire entrer les ménages dans un parcours de travaux, de leur faire prendre conscience que le processus de rénovation sera d'autant plus efficace qu'il est global. C'est notamment pourquoi l'audit énergétique sera éligible - il l'est déjà dans le CITE cette année- afin de les aider à prioriser et échelonner leurs travaux de rénovation.

E.I. Les entreprises peuvent avoir un rôle de conseil auprès des particuliers sur ces sujets…

E.A. Oui et c'est pourquoi le dispositif RGE va être amélioré ainsi que la formation des entreprises.

E.I. Comme souvent, la question du financement de ces propositions se pose.

E.A. Sur le quinquennat, l'État va dédier 9 milliards d'euros à la rénovation dans le cadre du grand plan d'investissement. C'est un effet de levier qui est nécessaire pour entraîner les collectivités mais aussi le secteur privé dans cet objectif de massification. D'autres dispositifs tels que les CEE et bien entendu la nouvelle prime seront mobilisés.

E.I. Le secteur du bâtiment est au cœur d'une troisième actualité forte : le permis d'expérimenter. Pouvez-vous nous en dire plus ?

E.A. Ce « permis de faire » permet de déroger à certaines règles techniques, rédigées sous forme de moyens, si elles sont remplacées par des solutions aux effets équivalents. Maîtres d'ouvrage et maîtres d'œuvre deviennent ainsi plus libres sur les dispositions constructives et les innovations qu'ils souhaitent privilégier. À ce jour, ce dispositif existe mais ne concerne que les organismes HLM et la maîtrise d'ouvrage publique. Ce « permis de faire » va être élargi par ordonnance à l'ensemble des réglementations techniques du bâtiment : thermique, accessibilité, sécurité incendie etc… Les discussions sont en cours avec les professionnels concernés, préalables à l'écriture des ordonnances.

L'idée de passer d'un objectif de moyen à un objectif de résultat prévoit également la réécriture du code de la construction afin de permettre aux maîtres d'ouvrage d'avoir recours à des solutions variées pour respecter les règles de construction. Au final, les professionnels disposeront d'un vivier de solutions évaluées, validées et éprouvées. L'innovation sera ainsi libérée.

Plan de rénovation énergétique : les quatre grands axes 

Axe 1 : faire de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité nationale avec des objectifs clairs, des données accessibles et un pilotage associant tous les acteurs

Axe 2 : créer les conditions de massification de la rénovation des logements et lutter en priorité contre la précarité énergétique

Axe 3 : accélérer la rénovation et les économies d'énergie des bâtiments tertiaires, en particulier du parc public

Axe 4 : accélérer la montée en compétences et les innovations de la filière de la rénovation des bâtiments Pour y parvenir, le gouvernement prévoit de :
- créer un fonds de garantie de plus de 50 millions d'euros pour aider 35 000 ménages aux revenus modestes chaque année ;
- simplifier les aides en transformant le crédit d'impôt en une prime et en adaptant les prêts existants ;
- fiabiliser l'étiquette énergie des logements, le diagnostic de la performance énergétique (DPE) ;
- mieux former les professionnels et mieux contrôler la qualité des travaux en réformant le label RGE (reconnu garant de l'environnement) en investissant 30 millions d'euros dans la formation des professionnels et 40 millions d'euros dans l'innovation ;
- encourager une rénovation massive des bâtiments publics de l'État et des collectivités en mobilisant 4,8 milliards d'euros ;
- missionner une start-up pour accompagner la rénovation des bâtiments publics des collectivités en mutualisant les moyens afin de massifier les contrats, de réduire les coûts et de lever les freins contractuels, juridiques et institutionnels.