Cinquième et dernier volet de notre série d'interviews des industriels de l'étanchéité face à la crise sanitaire. Aujourd'hui Frédéric Girard, directeur général adjoint de Sika France.

Etanchéité.Info Les usines de fabrication de membranes d'étanchéité du groupe Sika sont localisées à l'étranger. La production est-elle quasi à l'arrêt comme en France ?

Frédéric Girard Nos produits d'étanchéité sont majoritairement fabriqués en Europe du Nord ou sur d'autres continents. Ainsi, nos membranes synthétiques le sont en Suisse, en Allemagne, aux États-Unis, en Chine et en Corée et nos membranes bitumineuses en Allemagne, en Autriche, en République Tchèque mais aussi en Italie. Cette dernière mise à part, dans chacun de ces pays, les activités de construction ont été plus ou moins maintenues et les usines fonctionnent, en s'adaptant au jour le jour. Les baisses de volume constatées en Europe sont principalement dues aux arrêts de chantiers effectifs dans le sud du continent  : en Italie, en Espagne, en France... 

E.I. Des mesures particulières ont été mises en place sur ces sites de production ?

F.G. Bien sûr. En plus de la réorganisation du travail autour des gestes barrières afin de protéger les collaborateurs, dans chacun des 101 pays dans lesquels nous sommes présents, nous avons mis en place une cellule de crise et qui se réunit tous les jours. En fonction des évolutions des situations locales, les mesures d'arrêt ou de poursuite des activités sont adaptées. Cela a été très compliqué en France, où nous fabriquons sur cinq sites des mortiers, des colles, des adjuvants pour le béton... car au début du confinement, les consignes provenant des autorités ont été contradictoires. Les ministères notamment communiquaient des informations divergentes. D'un côté l'économie et le travail nous disaient d'y aller, de l'autre, la santé préconisait le confinement. 

Pour nous, il s'agit surtout de protéger les salariés et de protéger juridiquement le groupe. C'est pourquoi au sein de Sika France, une grande partie du personnel est en activité partielle à 80 %. Les 20 % restant à travailler permettent de garder le contact avec les marchés, les autres salariés, les clients et les clients de nos clients. 

E.I. Quels sont vos niveaux d'activité en France depuis le début de la crise  sanitaire ?

F.G. Disons que ce qui marche le moins mal, c'est la distribution (mortier, mastic, produits de chantier...). Elle a baissé d'environ 80 % après deux semaines. La réouverture progressive des négoces devrait accompagner le rebond cette activité. En revanche, concernant les membranes d'étanchéité, elles sont livrées directement sur chantiers. Logiquement, cet approvisionnement a suivi le rythme de leurs fermetures et a chuté de près de 90 %.

Dans nos usines françaises, des équipes de volontaires très réduites effectuent le minimum requis pour assurer les livraisons. Nous regroupons les demandes et lançons la fabrication sur un atelier pendant un ou deux jours. Nous sommes très flexibles.

E.I. Le guide de préconisations de l'OPPBTP va-t-il amorcer une inversion de tendance ?

F.G. Autant le confinement a été décrété du jour au lendemain et tout s'est arrêté très vite, autant la reprise va forcément être graduelle. Le guide est indispensable mais très complexe à mettre en œuvre. Depuis sa parution, les entreprises évaluent l'étendue des changements d'organisation qu'il va falloir opérer en interne mais aussi sur site. Comprendre, intégrer, former les personnels nécessite non seulement du temps mais aussi des moyens que toutes les entreprises n'ont pas. Cela sera d'autant plus visible sur les chantiers avec coactivité, pour lesquels, en plus, il faudra confronter les pratiques et les homogénéiser. La productivité sera moindre et les chantiers vont coûter plus cher alors même que les maîtres d'ouvrage vont connaître une baisse de leurs revenus. En l'état actuel des choses, paradoxalement, ce sont finalement les entreprises artisanales intervenant sur des petits chantiers qui devraient reprendre plus vite. 

E.I. Le marché restera très marqué par cette crise sans précédent...

F.G. Certaines entreprises risquent de ne jamais se remettre de cette épreuve. Certaines vont disparaître, d'autres se feront racheter. Le marché sera bouleversé. Mais restons néanmoins pragmatiques. Écoutons nos clients et les clients de nos clients. Adaptons-nous en permanence pour limiter la casse et surtout ralentir l'épidémie. Nous en tirerons les leçons plus tard. D'autant plus qu'il y a des choses positives qui pourraient ressortir de cette crise. Nous assistons, de manière générale, à des élans de solidarité notables. Dans chaque secteur, les liens se resserrent entre les différents acteurs économiques et au-delà, notamment en direction de l'ensemble du corps médical. Par exemple, 15 de nos sites dans le monde, fabriquent du gel hydroalcoolique et en distribuent une partie aux personnels soignants. En France, nous avons mis à leur disposition 20 000 masques.

Nous pourrions également sortir de cette logique de production en flux tendue qui a prouvé ses limites et pourquoi pas revenir à une relocalisation des productions à un niveau national.