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Deux entrepreneurs du secteur de l'étanchéité évoquent la réalité de terrain : arrêt ou poursuite des chantiers ? Dans quelles conditions ? Quelles conséquences pour l'entreprise ? Retrouvez la suite de notre série de témoignages, entre colère, tristesse et inquiétude.

Florent Guilabert, président d'Etphobat

"Nous avons décidé de stopper « partiellement » l’activité dès dimanche 15 mars et ce jusqu’au 31 mars, en tous cas pour le moment. Les équipes en ont été informées le lundi matin à l’embauche et nous avons décidé de mettre en sécurité quatre chantiers en 48h. Nous avons également contacté les partenaires financiers, l'expert-comptable et initié l’ouverture d’un dossier auprès de BPI. Pour le moment, les collaborateurs ont accepté de solder leurs congés payés et ensuite viendra la prise en charge. Cette décision a été prise en toute conscience et à contrecœur ! En effet, en 27 années notre société n’a jamais cessé son activité (roulement du personnel pour les congés d’été). Mardi soir, la fermeture du bureau a été un véritable crève-cœur. Non ! Nous ne sommes pas des fainéants opportunistes ! Nous ne sommes pas des personnes inconséquentes !

Il est également important de rappeler que les fournisseurs également sont en difficultés. J'en ai appelé plusieurs pour prendre des nouvelles. Sur quatre, un était fermé. Les autres sont ouverts mais personne ne vient, aucune entreprise ne vient se ravitailler en matériel. Résultat, les salariés font de la présence mais ils ne font rien et l'angoisse monte. 

Maintenir quelques chantiers hautement stratégiques peut être acceptable si des conditions strictes de sécurité sont assurées. Les autres, il faut les fermer. D'autant plus que nous savons ce qui risque de se passer, nous le voyons en Italie. Malheureusement je pense que nous serons dans cette situation dans une semaine si notre gouvernement reste sur cette position."

Jean-Christophe Boudin, dirigeant de SAB Etanchéité 

"L'accord entre le gouvernement et les organisations professionnelles part d'une bonne idée mais reste en décalage complet avec la situation : la France est confinée mais on demande aux salariés du BTP de travailler alors certes en sécurité mais comment appliquer les mesures ? Les masques et le gel hydroalcoolique sont nécessaires mais où les achète-t-on ? Les professionnels de santé en manquent déjà cruellement. De la même manière, comment peut-on mettre à disposition un véhicule par personne ? Alors même qu'il y a trois mois on nous demandait de favoriser le covoiturage. On ne peut pas nous demander de nous adapter à toutes les situations tout le temps. En revanche, si on arrive à disposer des moyens de protection et que les maîtres d'ouvrage garantissent le nettoyage de bases vie et la sécurité sur chantier avec quelqu'un de désigné et de compétent pour le faire, on pourrait envisager de reprendre le travail. Néanmoins, on resterait sur la base du volontariat. 

Dans 80 % des cas, il y a eu des décisons de fermetures de chantiers. Elles ne viennent pas forcément de nous. Elles peuvent avoir été prises par les maîtrises d'ouvrage comme c'est le cas notamment chez les gros promoteurs privés. Ils ont pris leur responsabilité et c'est très bien. En maîtrise d'ouvrage public, il y a deux cas de figure. Ceux qui ont tout fermé et ceux qui s'étonnent qu'on n'envoie pas nos équipes. Le comble c'est qu'eux-mêmes ont demandé à leurs salariés de se confiner et de travailler de chez eux. Nous avons ainsi été confrontés à un bailleur social qui nous a convoqués mercredi 18 mars en réunion de chantier et nous a notés comme absent avec pénalités d'absence en réunion. Il nous a été demandé d'intervenir alors qu'eux-mêmes sont tous en télétravail. Nous avons répondu par courrier en demandant précisément quelles étaient les mesures prises pour assurer la sécurité des intervenants : désinfection des bases vie ? comment sont garanties les distances de sécurité dans les Algeco ? Pas de réponse. Par conséquent, nos collaborateurs ne sont pas intervenus Pour couronner le tout, le mardi suivant, nous avons reçu un mail de sa part nous notifiant que la police municipale avait fermé le chantier.  

Un autre cas de figure c'est lorqu'un autre corps d'état, le maçon notamment, ferme, nous ne pouvons plus intervenir. De même, si la gestion de la base vie et de la sécurité du chantier n'est plus assurée, logiquement, il s'arrête même si le maître d'ouvrage n'a pas donné de directive dans ce sens. Sans oublier les problèmes d'approvisionnement et de fourniture en matériel. 

Cet arrêt des chantiers est une bonne chose pour notre sécurité. En revanche, nous nous retrouvons désormais face à des problèmes de facturation. Avec beaucoup de leurs équipes en télétravail, la plupart des grosses entreprises ne sont plus structurées pour disposer de leurs process internes de validation, des moyens de paiement sécurisés... De plus, la plateforme publique de facturation n'est pas disponible non plus. On ne sait donc pas comment tout ça va pouvoir se régler."